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Le 10 de la rue Chabanais (75002)


Dernier domicile de Chamfort. Il y meurt le 13 avril 1794.

Tout conspire pour que l’on ne sache rien de Chamfort, et notamment des lieux où il a vécu : le double tourment de sa naissance bâtarde et de sa rapide déchéance physique, la facilité qu’il a eue à adopter les défauts de la littérature de son temps - abstraction et sécheresse moqueuse, auxquelles seul Rousseau échappe -, sa mort survenue à 44 ans, avant l’âge où l’on commence à dresser des bilans et à égrener des souvenirs. Résultat : “sa vie jusqu’ici était une énigme” (C. Arnaud, Chamfort, 1988 ; coll. Pluriel, p. 9). Nous ne pouvons compter que sur ses biographes pour résoudre cette énigme. Claude Arnaud en est à la fois le plus récent et le plus remarquable : à tel point qu'à mes yeux la biographie qu’il consacre à Chamfort a pour moi plus d’intérêt que les écrits de Chamfort lui-même - .

Ce dernier mourut, le 13 avril 1794, des suites d’une inflammation de la vessie elle-même consécutive aux blessures qu’il s’infligea lors d’un atroce suicide raté (pour s'épargner prison et guillotine, il se tire un coup de pistolet et ne se tue pas, il se poignarde et ne se tue toujours pas). C’est par ses biographes, certainement pas par les écrits qu’il nous aurait laissés, que nous connaissons l’adresse du petit logement qu’il occupait alors : le 10 de la rue Chabanais.


Cédons maintenant la parole à Claude Arnaud :

“Expulsé de la rue Neuve-des-Petits-Champs [où il disposait, en sa qualité de directeur de la Bibliothèque nationale, d’un logement de fonction], Chamfort s'installe dans un entresol de la rue de Chabanais, tout près de la bibliothèque. Il inscrit son nom et son âge sur l'écriteau bleu-blanc-rouge de l'entrée (...). “Réduit à la pauvreté que je bénis par une révolution que je bénis encore davantage, malade et m'imposant à moi-même toutes les privations possibles, je vends pièce à pièce mes meubles et jusqu'à mes livres”, écrit-il, le 18 janvier 1794, aux représentants du peuple. Chamfort est libre de survivre dans les quelques mètres carrés qu’il loue à M. de Chabanais, le principal propriétaire de la rue. Une unique pièce avec fenêtre sur rue, un petit retranchement donnant sur la cour - tel est son royaume sept ans après son départ de l'hôtel Vaudreuil” (C. Arnaud, Chamfort, 1988 ; Coll. Pluriel, p. 296-297).



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La mention relative à l’hôtel Vaudreuil mesure la distance sociale séparant le lieu aristocratique où Chamfort fut hébergé pendant quelques années de celui où il dut terminer son existence.


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Le comte de Vaudreuil fut, jusqu’à son départ de France en 1789, le protecteur et ami de Chamfort. Bettina Craveri lui consacre tout un chapitre dans son ouvrage : Les Derniers Libertins (Flammarion, 2016), dont je ne peux que recommander la lecture car lui aussi a plus de mérite littéraire que les petits auteurs dont il retrace la vie.




Joseph de Vaudreuil


L’hôtel particulier qu’avait en 1784 acquis Vaudreuil existe encore, au 7, rue de la Chaise et il est encore habité de sorte que, de la rue, on ne peut en admirer que le portail.



Mais cela vaut mieux : le bel hôtel de Vaudreuil, bâti par Labrière en 1762 et qui fut menacé de démolition en 1967, a survécu mais flanqué de deux bâtiments d'habitation qui le défigurent étrangement. Les responsables de ce beau travail ont à l'époque (1973) prétendu traiter la cour comme "une scène de théâtre" et agrandir le jardin "par la création de multiples vallonnements" (Cf. L. Réau, Histoire du vandalisme ; rééd. 1994, coll. Bouquins, p. 986). Il s'agit de l'agence Biro & Fernier qui, sur son site internet, continue de se vanter d'avoir "toujours défendu une architecture maîtrisée, composant avec son environnement". Voire !...



***


Rien n’a changé en revanche dans la rue Chabanais, laquelle appartient à ce lacis de rues tranquilles proche de la Bibliothèque nationale que Chamfort n’a cessé de parcourir dans les derniers mois de sa vie : “ce quartier “intelligent” compris entre les rues de Richelieu, de Chabanais et des Petits-Champs, où l’on avait le plus écrit depuis 1791” (C. Arnaud, op. cit. p. 277-278).

Nous pouvons donc toujours nous y promener dans les mêmes conditions que le fit Paul Léautaud il y a 76 ans :


“Vendredi 17 avril 1942. - (...) Je suis resté quelques minutes à regarder encore le 10 de la rue Chabanais où Chamfort est mort. “Une unique pièce à l'entresol”, disent ses biographes. Ce serait alors une de ces pièces dont les fenêtres sur la rue forment cintre” (P. Léautaud, Journal littéraire 1940-1956 ; Mercure de France, 1986, p. 562).


Contrairement à Chamfort, Léautaud ne fut habité ni par l’ambition ni par la rancoeur. En outre, alors que le premier se veut concis et secret, le second ne craint pas d’être bavard et même trivial : il dit et déballe tout sur lui-même et, sur les autres, il accumule les notations concrètes de physique, de gestes, de logement, de vêtements. Tous deux n’avaient en somme de commun que le goût de la raillerie et l’absence de croyances religieuses. Sur le plan littéraire, c’est peu. Sur le plan humain, cela a suffi pour que Léautaud se soit reconnu en Chamfort, sans oser s’égaler à lui tant le nom et le renom de ce dernier l’impressionnaient. C’est que la concision, littérairement en tout cas, suscite toujours le respect… Est-ce bien juste ?

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