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Un revenant (Christian-Jaque, 1946)


Un Revenant (1946)

Mise en scène : Christian-Jaque

Scénario : Henri Jeanson, Christian-Jaque

Dialogues : Henri Jeanson

Images : Louis Page

Musique : Arthur Honegger

Interprétation : Louis Jouvet (Jean-Jacques Sauvage), Gaby Morlay (Geneviève Nisard), Louis Seigner (Edmond Gonin), Jean Brochard (Jérôme Nisard), François Périer (François Nisard), Marguerite Moreno (tante Jeanne), Ludmilla Tchérina (Karina).

Henri Jeanson n’est-il pas un auteur surfait ? C’est la question qu’on se pose à lire la dithyrambe composée par Daniel Collin, dans le Guide Tulard des films (Robert Laffont, coll. Bouquins, 1990), à propos du film de Christian-Jaque Un Revenant, dithyrambe dont le seul motif semble reposer dans la signature par Henri Jeanson du scénario et des dialogues : “Un adjectif vient à l’esprit lorsqu'on voit ce film : “ Jouissif” ! “ Jouissif” car les dialogues, tantôt pleins d'amertume, tantôt chargés de vitriol, font mouche à chaque scène, à chaque situation…” (op. cit. p. 997). Mouais… Le film est certes très regardable mais pas par la qualité ni la vraisemblance de son scénario qui est celui d’un mélodrame bourgeois, assez sordide dans sa complexité.


Le schéma narratif d’ensemble est celui d’un retour vengeur à la Monte-Christo : 20 ans après les faits, le personnage de Jean-Jacques Sauvage (interprété par Louis Jouvet) surgit à nouveau dans les rues de Lyon et s’emploie à troubler la quiétude de l’honorable famille de “soyeux” qui, autrefois, a tenté de l’assassiner (il vient “troubler cette famille de cloportes”, comme le dit le personnage de vieille dame malicieuse joué par Marguerite Moréno).

Ce complot a réuni celui qui se prétendait le meilleur ami de Jean-Jacques (Jérôme Nisard, interprété par Jean Brochard), le père de celui-ci et un comparse (Edmond Gonin, interprété par Louis Seigner). Tous trois voulaient se débarrasser de lui afin d’empêcher qu’il épousât Geneviève Gonin (Gaby Morlay), la soeur de Jérôme. L’assassinat est raté : Jean-Jacques n’est que blessé par Jérôme. La thèse de l’accident l’emporte aux yeux de la police, grâce à quoi personne n’est inquiété. Jean-Jacques, une fois remis de sa blessure, disparaît et change de nom. Geneviève, vite consolée, épouse Edmond Gonin, lequel s’associe ensuite à 50/50 avec Jérôme Nisard à la tête de l’entreprise familiale. Le calme bourgeois se rétablit ainsi jusqu’à la réapparition de Jean-Jacques, devenu entretemps le prestigieux directeur d’une troupe de ballet venant donner une représentation à Lyon.

Le spectateur est dûment informé par ces scènes de présentation, qu’il a bien affaire à une “famille de cloportes”. Il se prépare donc à assister à un scénario bien rôdé de vengeance légitime. D’autant que Jérôme et Edmond sont antipathiques à souhait (D. Collin qualifie l’un de “hypocrite et matois”, l’autre de “coléreux et fielleux”), tandis que Jean-Jacques réunit au bon droit de la victime le charisme de l’artiste à succès et la mélancolie de l’amoureux déçu. Mais, curieusement, - et c’est là que le scénario dévie - Jérôme et Edmond sont épargnés par la vengeance de Jean-Jacques. Celui-ci ne dirige en fait ses coups les plus percutants qu’à l’encontre de Geneviève et du fils de Jérôme, François, qu’interprète le jeune François Périer.

A l’encontre de Geneviève, passe encore !... Elle s’est désintéressée de lui après le meurtre raté et a délibérément accepté de passer sa vie en compagnie des deux complices du meurtre, soit son mari et son frère. On comprend que Jean-Jacques lui en garde de l’amertume. Encore la vengeance qu’il met en oeuvre est-elle bien peu imaginative : il se borne à séduire son “ex” à nouveau - ce qui ne lui est pas très difficile, tant Geneviève, en la seule compagnie du couple Jérôme-Edmond, végète à Lyon et s’y ennuie - et à lui promettre une nouvelle vie avec lui à Paris, pour, finalement, dans le hall de la gare, l’informer de son changement d’avis et la renvoyer sans plus de façons chez elle. L’équilibre des sentiments et des situations est ainsi rétabli au profit du vieil amant, mais d’une manière banale et qui n’est pas en tout cas à la hauteur de la suite mélodramatique d’événements qui ont précédé.

Le mélodrame, le machiavélisme, la perversité on les trouvera en revanche avec l’intrigue imaginée par Jean-Jacques pour perdre François. Les ¾ du film sont consacrés au récit de cette sombre machination. Mais pourquoi tant d’acharnement à perdre un inoffensif petit jeune homme ? On se le demande… De tous les personnages du film, avec ses 20 ans, son ignorance et sa naïveté, François est le seul à être parfaitement innocent des sombres péripéties motivant la vengeance de Jean-Jacques.

Celle-ci n’en est pas moins poursuivie avec détermination. Elle consiste à pousser le fils de famille au désespoir amoureux. Le perspicace Jean-Jacques en effet a immédiatement jaugé la fragilité du jeune homme, au seul vu du désordre de sa chambre d’étudiant. Celui-ci, détaillé par la caméra, révèle chez son occupant tant une sentimentalité livresque de puceau de bonne famille que des velléités artistiques, desservies par une complète absence de talent. Jean-Jacques, voulant faire éprouver à cette proie facile ce qu’est un chagrin amoureux, le pousse dans les bras de sa danseuse vedette, Karina (Ludmilla Tchérina) dont il connaît le cynisme et la vénalité et il fait par ailleurs miroiter au jeune homme un engagement dans sa propre troupe comme décorateur. François, devant tant de bonheurs, s’exalte, s’enflamme, volète…, jusqu’au moment où Karina le rabroue rudement et brise d’un seul coup tous ses rêves. Assommé par ce malheur imprévu, François tombe littéralement de haut et, depuis les cintres du théâtre, se jette dans le vide. Evidemment, il se rate ! Sans quoi, la vengeance de Jean-Jacques aurait été pour le public moyen de l’époque d’une insoutenable cruauté.

Pour autant, ce qui subsiste de cruauté reste incompréhensible, car François aurait très bien pu se tuer pour de bon et Jean-Jacques, en se jouant de lui et de sa naïveté, a pris sciemment ce risque. Quel but a t-il ainsi poursuivi ? Sa vengeance froide épargne soigneusement ceux qui ont voulu l’assassiner, Jérôme et Edmond. Tous deux sont lâches, sournois, certes mais ils sont surtout cupides : l’argent seul les motive et ils se moquent bien des tourments sentimentaux qu’ont vécus, du fait des intrigues menées par Jean-Jacques, leurs fils et neveu, soeur et épouse. Une vengeance dirigée contre de tels personnages mais qui n’atteint en fait que leurs proches rate complètement sa cible.

La seule explication que je vois à ce détournement d’objectif relève de la psychologie. Ce qui la rend fragile, un personnage de film n’ayant pas de psychologie... Elle reposerait sur un sentiment paternel resté frustré et sans emploi chez Jean-Jacques tandis que François, qui n’aime pas son père et réciproquement, se sent toutes les dispositions pour lui servir de fils adoptif ou naturel. Mais cette substitution de père et d’enfant ne peut s’opérer : François n’est que le neveu de Geneviève et le fils de Jérôme, non le fils de Geneviève et de Jean-Jacques. Cette absence de lien biologique direct prive sa tante de l’idéal motif de rapprochement avec Jean-Jacques qu’aurait été un enfant commun entre lui et elle. Elle prive aussi Jean-Jacques d’une espérance de paternité que, dans l’ignorance de ce qui est advenu après son départ de Lyon, il aurait pu considérer comme vraisemblable. S’étant rendu compte qu’il n’a rien à espérer à cet égard, il esquisse avec François, qui en est très demandeur, une relation pseudo-paternelle. Jusqu’au moment où il repousse ce jeune bourgeois niais et insignifiant, fils d’un ennemi et d’une inconnue, et qu’il n’a aucun raison d’aimer ni de protéger. Ce faisant, il le mène au désespoir et à la mort et l‘y laisse délibérément sans secours (François, sous le choc de sa rupture, jette vers lui un regard éperdu et Jean-Jacques s’en détourne).

La cruauté de Jean-Jacques, tant à l’égard de François que de Geneviève, s’expliquerait ainsi par ce fait que celle-ci l’a déçue doublement : en le trahissant, bien-sûr, et en épousant Edmond mais aussi en ne lui donnant pas un fils. Il est, au total, paradoxal qu’un mélodrame, qui ne peut guère briller que par ses dialogues, trouve in fine sa cohérence dans ce sentiment caché qu’on devine ou entrevoit sous des non-dits et des mensonges.

Mieux vaut se plaire, dans ce film, à la qualité de son interprétation. Louis Jouvet est à l’aise dans le rôle qui lui est habituel d’un personnage dominateur à la parole tranchante et aux gestes maîtrisés. Peut-être même y est-il trop à son aise : il était plus émouvant quand il campait dans Carnet de bal un revenant moins avantageux et moins flambard. François Périer, au contraire, use de jeux de physionomie variés et rapides pour exprimer les hauts et les bas d’un personnage vulnérable et extraverti, ballotté par les événements, ce qui nous change du masque fermé qu’il a arboré par la suite lorsqu’on ne lui a plus donné à interpréter que des rôles de vieille crapule corrompue et blasée. Gaby Morlay est parfaite en bourgeoise sur le retour, tentant, sans en convaincre d’autre personne qu’elle-même, de ressusciter des charmes éteints.

Mais m’ont surtout impressionné les toutes premières images, montrant dans des scènes brèves et silencieuses la silhouette sans visage de Louis Jouvet déambulant dans les rues de Lyon, montant et descendant des escaliers, traversant des ponts. Par leur poésie brumeuse tout autant que par leur concision, elles donnent envie de s’intéresser au directeur de la photo capable d’une telle puissance expressive. Il s’agit de Louis Page, l’opérateur de Malraux dans Sierra de Teruel. Ensuite utilisé par Jean Delannoy, Gilles Grangier, Henri Verneuil, Denys de la Patellière, etc., il aura oeuvré au service d’un bon vieux cinéma français, - symbolisé par le couple Gabin-Ventura, par les dialogues de Michel Audiard - que les critiques ont toujours méprisé mais qui survit à tous les critiques. De ce cinéma, il nous reste certes des répliques, des “scènes”, mais aussi des images, des images aux ombres et aux reliefs bien marquées, aux plans bien structurés, toutes de beauté et d’efficacité visuelles. Un cinéma dont on ne peut expliquer l’attrait qu’il a exercé et qu’il exerce encore par aucune qualité propre au metteur en scène, aux scénaristes, aux acteurs ou aux techniciens mais par la parfaite harmonie de leur collaboration.

Gloire à Louis Page, donc, plus qu’à Henri Jeanson ! Et aussi à Arthur Honegger que l’on aperçoit dans un rôle de figurant et qui a accompagné ses images d’une mélopée lente et sourde, digne d’être écoutée et enregistrée séparément du film.







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