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Pourquoi Maurois me fascine


André Maurois me fascine comme l’homme qui consciemment s’est refusé à entretenir en lui une conscience de soi.

Je me rappelle très précisément du moment où cette fameuse "conscience de soi", cette chose mystérieuse, s’est emparée de moi. Je devais avoir 6 ans. J’attendais le sommeil dans mon lit et je me suis projeté dans un futur encore pour moi très lointain, celui dans lequel j’aurais 18 ans. Et je me suis vu dans une salle d’examens en train de passer un examen quelconque, le bachot sans doute, le seul dont j’avais entendu parler. Je ne voyais aucun rapport apparent entre ce moi du présent, enveloppé dans ses couvertures, et ce moi du futur, assis devant une table et composant sur une feuille de papier, l’esprit occupé de pensées que j’étais incapable de concevoir. Pourtant cet enfant et ce jeune homme constituaient la même personne qui s’appelait “moi” et j’étais sommé à l’instant même de m'identifier à elle de manière irréversible. D’où la conclusion : “Je suis moi !”. Par ces trois mots, je me réunifiais et reprenais possession de moi-même à travers mes métamorphoses prochaines.

Cela resta pour moi un acquis, un point de départ, rassurant car il garantissait l’absence de perte en ligne, et il ne pouvait être question d'y revenir. Lorsque, plus tard, je lus le Discours de la Méthode, la première Méditation de Descartes, puis L’Etre et le Néant, je me retrouvais sur des terrains familiers. Tout autant lorsque dans la Phénoménologie de l’Esprit, Hegel décrit, à la manière de quelqu’un qui sait bien ce que c’est, l’expérience originaire du “Ich bin Ich”, ce moment à la fois fondateur et vide qui implique d’être dépassé. Je me souviens enfin des propos de mon professeur de Terminale nous expliquant que Valéry Giscard d’Estaing était dépourvu de conscience de soi, pour n’avoir jamais dit “Non” à ses parents. J’en conservais l’idée que l’humanité était divisée en deux : ceux qui avaient et ceux qui n’avaient pas de conscience de soi.

Les seconds n’ayant jamais été appelés à s’affirmer face au monde, s’étaient glissé immédiatement et sans s’en apercevoir à l’intérieur d’un “On” indistinct pour y demeurer à jamais. J’admettais très bien que ce “On” pût leur offrir tout le confort souhaitable. “On” peut s’enrichir, faire carrière, devenir cadre dirigeant ou président de la République. “On” peut aussi se sentir parfaitement heureux dans des situations plus modestes. Qu’on en revanche pût devenir écrivain, écrire des romans, construire une oeuvre littéraire non négligeable, deviser finement sur le Moi des autres, cela je ne l’imaginais guère.

C’est pourquoi la personnalité de Maurois, son destin littéraire, le paysage pas tout-à-fait calme, de sa vie intérieure, me fascinent comme la découverte d’un royaume inconnu, le royaume de ceux qui, résolument ont dit “non” à eux-mêmes.

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