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Un prophète : Jules Duval (1813-1870)


“Bientôt, où règne et la solitude, une population humaine s'épanouit ; où fleurissait la ronce, la récolte mûrit ; où les bêtes féroces creusaient leur tanière, s'élèvent les demeures d'un peuple civilisé. Dans les flancs d'un sol inerte, l’émigration a jeté les germes d'une société vivante qui, au soleil de la liberté ou de la discipline, suivant les temps, en travaillant grandit, qui en grandissant prospère, qui a son tour multiplie et envoie ses essaims : voilà la colonisation, un des plus nobles spectacles dont il soit donné à l'homme d'être à la fois l'agent et le témoin” (J. Duval, Les colonies et la politique coloniale de la France, 1864 ; cité in R. Girardet : L’Idée coloniale en France, de 1871 à 1962 ; La Table ronde, 1972, empl. Kindle 508).


Qui est l’auteur de ce texte ? Il mérite, encore plus, que les précédents, de figurer dans notre “Anthologie des auteurs oubliés”, tant son nom n’évoque plus rien aujourd’hui et ses idées non seulement sont mortes mais sont vouées à la damnation. Il s’appelait Jules Duval, a vécu de 1813 à 1870. II a encore droit à une notice Wikipédia et Raoul Girardet nous a tracé de lui ce petit portrait, empreint de sympathie :


“Curieuse et attachante figure, et qui illustre de façon exemplaire tout un aspect du XIXe siècle français, que celle de ce magistrat aveyronnais sensible dans sa jeunesse aux leçons de Saint-Simon et de Fourier (...). Il quitte en 1847 son poste de substitut au tribunal de Rodez pour fonder en Algérie (...) une vaste entreprise agricole régie suivant les règles de l'association du capital et du travail. Membre du conseil général d'Oran, rédacteur en chef de L'Echo d'Oran, il milite avec ardeur pour la défense des droits de la colonisation européenne contre l'administration militaire et contre la politique impériale du “royaume arabe”. Revenu en métropole, on le trouve à l'origine de la création, en 1862, de L'Economiste français, “ organe des colonies, de la colonisation et de la réforme par l'association et l'amélioration du sort des classes pauvres”. Vice-président de la Société de Géographie, il va multiplier jusqu'à sa mort, survenue accidentellement en 1870, les articles et les ouvrages d'économie politique et de vulgarisation géographique consacrés à l'étude des phénomènes conjoints de la colonisation et des grandes migrations humaines” (op. cit., empl. Kindle 484).


Le personnage de Jules Duval était peut-être curieux. Son texte l’est plus encore. Il le paraît en tout cas bien davantage maintenant que cela ne pouvait être le cas en 1972, date à laquelle Raoul Girardet ne mentionne ses ouvrages qu’en tant qu’ils illustrent “une doctrine militante de la colonisation”.

Qu’y lisons-nous en effet de différent et qui ne peut que nous frapper 47 ans après la publication de “L’idée coloniale en France” ? C’est que Duval appelle à lui, comme les images d’un futur merveilleux, non tant la politique coloniale française que notre propre présent planétaire, ce présent dont, maintenant qu’il est advenu, un courant de plus en plus important de l’opinion (presse, gouvernements occidentaux, institutions internationales, ONG) voudrait à tout prix pouvoir nous extraire.

Il n’est pas un des phénomènes qu’en 1864 Jules Duval évoquait avec lyrisme et chaleur qui ne soit aujourd’hui un motif de déploration et d’angoisse. “La population humaine” qui “s’épanouit”, “l’émigration” qui “multiplie et envoie ses essaims”, ce sont à la fois l’explosion démographique et les flux de migrants qu’elle engendre, deux phénomènes que les Etats s’efforcent en 2019 de maîtriser et de contenir, sans d’ailleurs y parvenir. Les “bêtes féroces” chassées de leur tanière par “les demeures d”un peuple civilisé”, c’est la disparition des espèces vivantes et notamment des grands carnivores, du fait de l’urbanisation et de la minéralisation des sols. Aussi ces bêtes féroces, loin de les chasser, nous voulons maintenant les protéger, voire les réintroduire. “La récolte” qui “mûrit”, là où autrefois “fleurissait la ronce”, c’est la déforestation. Il n’aurait plus manqué à Jules Duval, pour que son sottisier soit définitivement complété, que d'avoir souhaité et espéré, grâce à la science et à l’action de l’homme, que les températures se réchauffent !

Sans parler de son enthousiasme en faveur de la colonisation européenne, dont on sait à quel point il est aujourd’hui partagé.


Nous mesurons ainsi à quel point nous sommes, en peu d’années, devenus sourds au “grand récit progressiste” (S. Audier), auquel dans sa naïveté participait Jules Duval. L’autre grand récit, “le grand récit national”, né à la même époque, est en train de le rejoindre dans la même déroute. Avec davantage de regrets exprimés peut-être, car les hommes politiques et les journalistes sont par nature et par profession plus bavards que ne le sont les ingénieurs.





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