
J'ai retrouvé un exemplaire de "Climats" que nous avons à la maison, édition Livre de poche datée de 1968 (le roman a été publié en 1928). La présence de ce petit livre parmi une quarantaine d’autres livres de poche que j’ai toujours connus dans cette maison héritée des grands parents de mon mari n’était pas vraiment une surprise. Comment cet exemplaire est arrivé là, par qui il a été acheté, reste cependant un mystère, car à cette date, Yves avait 20 ans et ce genre de roman n’était certainement pas ce qui pouvait l’intéresser, ni ses grands-parents alors très âgés… Quoiqu’il en soit, bien qu’il ait toujours été en bonne place dans la bibliothèque, je crois que je le lisais pour la première fois.
"Il fut salué par la presse comme un très grand chef d'oeuvre", "une symphonie riche de nuances et d'analyses aigües", dit la quatrième de couverture. Je l'ai trouvé très bien écrit, la langue n'a pas trop vieilli, ce qui en soi est déjà appréciable, et l'analyse des sentiments éprouvés par les deux narrateurs successifs (le héros, Philippe, puis sa deuxième femme) est détaillée, mais sans longueurs.
Il s'agit de la dissection des attentes et déceptions croisées éprouvées par les acteurs des deux mariages successifs de Philippe, avec deux épouses très dissemblables, Odile et Isabelle. Philippe est très amoureux d'Odile, avec laquelle il s’est marié, contre l'avis de sa famille. Mais il en divorce car elle le délaisse et part avec un autre. II se remarie avec Isabelle qui le rassure et est toute à sa dévotion. Mais il s'en lasse et retombe sous la coupe d'une troisième femme, dont le caractère est assez proche de celui d'Odile. Le roman le fait mourir d'une pneumonie foudroyante alors que, sa maîtresse ayant rompu avec lui, il se résignait apparemment à vivre une vie rangée avec Isabelle et leur bébé.
Si l’on résume : la première épouse quitte Philippe pour un autre, car il l'aime trop et l'ennuie ; la seconde (Isabelle) l'aime trop et l'ennuie et c'est lui qui se détache d'elle pour une autre qui lui rappelle Odile et le fera souffrir tout autant. Dans les deux cas, déçu/e par le nouvel amour qu'il/elle avait cru trouver, celui/celle qui se détache meurt peu de temps après la rupture affective acceptée par le/la conjoint/e résigné/e.
Cette symétrie quasi parfaite rend le roman un peu artificiel. Il reste également très "bien pensant" alors même qu'il traite de vies dissolues selon l'ordre moral de l'époque : tout ce petit monde, bridé par la présence continuelle des domestiques, est trop bien élevé pour faire des scènes, et il subsiste encore des survivances de l'ordre conjugal du XIXème siècle où tromper son mari ou sa femme n'était en rien un motif de s'énerver au point de rompre un mariage.
En revanche, mal vivre à deux, souffrir de la négligence de l'autre, est admis comme motif de séparation, et divorcer semble être dans ce milieu aisé une formalité. En cela, ce roman très classique semble militer vers une forme de modernité, même si, (car il faut bien faire des concessions à l’ordre moral), cette séparation a été fatale à Odile et n’a pas rendu Phlippe plus heureux en ménage. Ce sont les mères de Philippe et d'Isabelle, faisant mieux connaissance au chevet de celle-ci qui vient d'accoucher, qui donnent leur analyse de cette instabilité des jeunes couples de leur entourage. Elles en attribuent la cause d'une part à l'exigence d'amour, qui n'avait pas cours dans leur génération et, d’autre part, à l'inactivité des jeunes mariées de la haute bourgeoisie, qui pour exister n'ont que les yeux de leur époux, (au début), puis de leur cercle d'amis qui tôt ou tard devient un vivier d'amants potentiels. Est-ce Maurois le moraliste qui les fait parler ? Car je n'ai rien trouvé d'ironique dans la façon dont il relate leurs propos.
On aurait pu supposer que le travail des femmes se généralisant, les couples iraient mieux...mais dans l'édition que j'ai, il n'y a pas de préface pour faire ce commentaire!
L’auteur et le principal personnage ont des caractères très proches. Comme Philippe, Emile Herzog est issu d'un milieu d'industriels aisés et austères (le textile pour lui, les papeteries pour le Philippe de “Climats”) ; comme lui, il a commencé par gérer l'industrie familiale et a eu deux épouses. Comme lui, il a aimé la première, fascinante et fantasque, a eu du mal à la faire accepter par son entourage familial et, pris par les années de guerre et leurs suites, il s’est senti délaissé par elle avant qu’elle ne décède prématurément. Comme Philippe, sa deuxième femme est amoureuse, admirative, dévouée, et d'un "bon milieu", et il la trompera avec une autre, plus exotique et tout aussi instable que la première… mais bien après la rédaction de “Climats”, ce qui confère au roman un caractère curieusement prémonitoire.
Au delà de sa qualité littéraire, je vois surtout dans ce roman une oeuvre de distraction avec ce qu'il y faut de description des loisirs, des meubles et de la mode dans un milieu très aisé pour captiver un large public de jeunes femmes. Maurois livre son histoire et ses faiblesses personnelles, retravaillées pour leur donner un sens édifiant, alors que l’intrigue ne tient que par les méandres de moeurs conjugales plus libres et l’attraction qu’elles exercent chez tous les protagonistes. Habillés de nobles sentiments, ses personnages font preuve continuement de lucidité, de hauteur de vue, de courtoisie, n'échangent que des propos de haute tenue dans des termes choisis, alors qu'ils traversent en réalité des difficultés de couple maintenant assez banales qui chez tout le monde suscitent des disputes de beaucoup plus bas niveau... Tout cela m'agace un peu, tant l’offensive de séduction du lectorat féminin paraît évidente.
“Climats” reste cependant intéressant comme reflet d'une époque et de sa vision de ce que devait alors être une oeuvre "moderne".
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