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Portrait d'un parlementaire combatif : Duvergier de Hauranne


Dans le post du 7 décembre 2018 (série “Petite caractérologie des hommes politiques’), j’avais distingué parmi les types de personnalités politiques celui du “Diplomate”. J’avais invoqué à cette fin les mânes de Tanneguy Duchâtel, - figure éminente mais oubliée aujourd’hui de la Monarchie de Juillet, dont Rémusat avait tracé un portrait suggestif -, ceux d’Edgar Faure et les silhouettes, rebondies et plus proches de nous, de François Hollande et de Gérard Larcher.

Les “Diplomates” peuvent, sous n’importe quel régime - mais c’est dans les régimes autoritaires ou tyranniques qu’ils sont les plus utiles dans cette fonction - être employés comme ministres des Affaires étrangères. A la manière de Talleyrand, Litvinov, Chou en-Lai, Tarek Aziz... Ils ne dirigent en réalité rien de ces affaires étrangères qu’ils sont supposés conduire, mais ils peuvent à merveille en dissimuler, devant l’opinion internationale, les traits véritables. lls ont de bonnes manières, savent se tenir et s’habiller, écouter du Mozart. Dans les salons et les salles de conférences, ils montrent aux journalistes ou à leurs homologues des autres pays un visage aimable et n’ont aucun difficulté à deviser avec eux dans la langue dominante (autrefois le français, aujourd’hui l’anglais), ce qui suffit, aux yeux de ces journalistes et ministres, à prouver leur ouverture et leur libéralisme. Devant la candeur des propos qu’on leur tient, ils parviennent à hocher poliment de la tête en se retenant d’éclater de rire.

L’habileté des “Diplomates” trouve également, au sein d’un régime parlementaire ou d’une démocratie partisane, un utile champ d‘action. En plaçant dans cette catégorie Duchatel ou Edgar Faure, je pensais surtout au rôle qu’il leur revient alors d’apaiser les tensions et querelles, toujours susceptibles de déchirer de l’intérieur un parti ou un groupe parlementaire. Le grand public ne sait généralement rien de la somme de travail ingrat que cela exige, mais les observateurs extérieurs, les journalistes politiques, le savent, eux, fort bien et c’est eux qui attachent à ces infatigables médiateurs la réputation de n’être que des manoeuvriers sans conviction, voire d’aimables ganaches.


Je lis en ce moment l’Histoire de la Monarchie de Juillet de Paul Thureau-Dangin, publiée en 1886 (et disponible sur le site Gallica). Thureau-Dangin, ayant vécu de 1837 à 1913, a personnellement connu quelques survivants de ce régime. Il écrivait et pensait dans le même langage qu’eux, ce qui fait que je préfère ses textes à ceux de n’importe quel universitaire. Le récit qu’il fait des absurdes luttes parlementaires qui ont agité entre 1837 et 1841 le microcosme d’alors me rappelle qu’il existe un autre type de Diplomate, et qui est tout aussi utile au bon fonctionnement d’un régime parlementaire : l’homme de parti exclusif et combatif. Celui-ci renforce l’unité et la cohésion du clan ou de la “famille politique” auquel il appartient, non pas en maintenant la paix parmi ses membres, mais en les rassemblant contre un ennemi commun, en les menant au combat et en ranimant sans cesse leurs ardeurs défaillantes. Car s’il est indispensable que les camarades ne se fassent pas la guerre entre eux, il ne faut pas pour autant qu’ils s’endorment et oublient qu’ils sont là tout de même pour faire de la politique. Les premiers Diplomates cités sont donc de bons gros, les seconds sont des maigres colériques.


Ainsi nous apparaît Prosper Duvergier de Hauranne (1788-1881) vu par Paul Thureau-Dangin.

Duvergier de Hauranne fut un digne représentant, s’il en fût, de ce que peut être un régime parlementaire et une démocratie représentative, puisqu’il fut l’auteur d’une Histoire du Gouvernement parlementaire en France de 1814 à 1848. ll contribua notablement, par ses emballements successifs et sa continuelle agitation, à ce que cette histoire ne fût pas ennuyeuse.

“Cet esprit vigoureux, net, avisé, était aussi un esprit exclusif, absolu, batailleur, ne voyant guère qu'une idée à la fois, et qu'elle fût vraie ou fausse, la poussant sans ménagement jusqu'au bout. Longtemps après, en 1860, M. Guizot, qui l’avait beaucoup pratiqué, d'abord comme le plus zélé de ses amis, ensuite comme le plus âpre que ses adversaires, écrivait finement de lui : “Un boulet de canon va droit au but, quand il est lancé dans la bonne direction. L'esprit de Duvergier est de même nature ; il n'a jamais qu'une passion... C'est une nature élevée, désintéressée, sincère, très honnête. Il est très intelligent dans la voie où il marche. Il ne voit rien au dehors. Il a tout ce qui fait bien penser et bien agir, quand on a bien commencé. Il lui manque ce qui préserve de se mal engager et d'aller loin dans l'erreur, sans s'en douter.” (P. Thureau-Dangin : Histoire de la Monarchie de Juillet, 1886, t. 3, p. 255-256).


“Dans l'opposition (...), M. Duvergier de Hauranne apportait des qualités rares d'action, une énergie infatigable, une ténacité que rien ne rebutait, un courage qui allait toujours droit au but, sans crainte ni de déplaire aux autres, ni de se compromettre soi-même. Orateur de second rang, ses discours, bien que nourris d'idées, hérissés de traits acérés, manquaient un peu de souffle et de chaleur. Mais, la plume à la main, c'était un polémiste remarquable, d'une langue serrée, ferme, précise, tranchante, avec je ne sais quoi d'un peu âpre qui trahissait en lui le petit neveu de Saint-Cyran. Dialecticien redoutable, implacable, railleur à froid, il excellait à manier cette arme de la brochure, alors en faveur, aujourd'hui un peu démodée. C'était surtout un merveilleux agitateur parlementaire : voyez le descendre de banc en banc, pendant les séances, ou circuler dans les couloirs, la fièvre du combat dans les yeux, le geste affairé, saccadé ; il négocie des alliances, dresse des plans de bataille, colporte des mots d'ordre, gourmande la mollesse de ceux-ci, attise la colère de ceux-là, ramasse des soldats pour les pousser au feu, souffle et entraîner les chefs, tient chacun en haleine, les pénètre tous de sa vaillance et de sa passion” (op. cit. p. 259).


Au sein de la droite modérée, des Tanneguy Duchatel, des Edgar Faure, et des Gérard Larcher, on en trouve toujours... Comme ils ne sont pas intimidants, ne paient pas de mine, on ne comprend pas toujours qu’à certains moments, c’est à eux qu’il faut donner la première place. Par contre, des excités du type de Duvergier de Hauranne, on les remarque davantage mais les exemples en sont plus rares. Faut-il le regretter ? Duvergier de Hauranne a contribué en 1848 à mener la campagne des banquets qui devait emporter le régime et lui-même par la même occasion. C’est que lui-même restait tout de même, malgré un radicalisme de surface et de propos (n’a t-on pas dit, de même, de certains de nos inoffensifs LR qu’ils se “radicalisaient”), un modéré. Or les modérés sont affligés en matière politique d’une sorte de myopie. Les seuls ennemis qu’ils perçoivent et reconnaissent pour tels sont leurs voisins de palier, de braves gens qui leur ressemblent et dont ils n’ont pas grand-chose à craindre.

Imagine-t-on que les grands ennemis contre lesquels Duvergier de Hauranne mobilisa les ardeurs du centre gauche furent d'abord le baron Mathieu Molé, le plus décoloré des hommes politiques d'alors, Guizot, ensuite, énergiquement résolu à ne pas déranger la paix des honnêtes pères de famille et raidissant dans cette noble mission toute la fermeté d'âme qui était en lui ? Au cours de l'épisode dit de "la Coalition", Guizot et Molé luttèrent âprement entre eux pour des raisons que, même à l'époque, peu de personnes comprenaient. Mais Duvergier de Hauranne, lui, les comprenait, et cela le passionnait, le dévorait...


Ainsi vivent et meurent les régimes parlementaires.


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