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"Nous ferions, quant à nous, bon marché des cathédrales" (F. Mauriac)


“Peut-être scandaliserons-nous à la fois les dévots et les incrédules en avouant que l'attitude d'un homme qui défend le christianisme sans y croire nous est inintelligible (...). Nous ferions, quant à nous, bon marché des cathédrales, de la liturgie, du chant grégorien, si tout cela ne servait qu’à glorifier un simple morceau de pain azyme. Les vertus, la délicatesse des consciences chrétiennes, les miracles de l'amour mystique, la sainteté en un mot serait sans prestige à nos yeux si elle était née d'un mensonge et reposait sur un mensonge” (F. Mauriac : Journal II, 1937 ; Les Chefs d’oeuvre de François Mauriac, Edito-service & Flammarion, t. XVIII, p. 208).


Lorsque Mauriac dans les années 1930 déclarait ainsi ne pouvoir comprendre les hommes qui défendent le christianisme sans y croire, il pensait à Maurras surtout et un peu à Barrès auquel l’article dont ces phrases sont extraites est consacré (qui avait pour titre : “Barrès et le catholicisme”). Mauriac admet d’ailleurs que le catholicisme, Barrès y croyait tout de même un peu. Tout au plus, pour pouvoir atteindre un plus large public, se plaçait-il sur le terrain des incrédules : “Nous savons bien que Barrès qui, pour le salut des églises de France, voulait obtenir un résultat pratique et tangible, ne donnait pas les motifs personnels de son attachement au christianisme, il cherchait seulement des raisons propres à convaincre des hommes dénués de toute croyance, comme Jaurès, Briand et Sembat” (op. cit. p. 210).

Le propos de Mauriac aujourd’hui revêt une portée plus large qu’à l’époque où il fut écrit. Car ce n’est plus seulement dans le cercle restreint de la droite maurrassienne que l’on défend désormais le christianisme sans y croire. De Luc Ferry à Eric Zemmour, nombreux sont ceux qui prétendent vouloir le protéger pour des raisons esthétiques, culturelles ou patrimoniales, voire civilisationnelles, jamais, en tout cas, proprement religieuses. Parmi toutes les sottises qu’a suscitées l’incendie de Notre-Dame de Paris, il est celles qui plaçaient, dans le seul “au delà” dont nous devions nous soucier, les éléments les plus dérisoires de notre existence terrestre (“au delà de la religion, cette cathédrale symbolise la ville de Paris...”).

Au prix de la vérité du message chrétien, Mauriac est, lui, prêt à sacrifier en bloc les cathédrales, la liturgie, le chant grégorien, les vertus et délicatesses des consciences chrétiennes ! Or, de même qu’en droit public, toute notre sacralité démocratique et libérale se tient dans un bloc de constitutionnalité, bien serrée comme une terrine dans son bocal, toutes nos réserves de foi et de spiritualité sont contenues dans un bloc de civilisation, à l’intérieur duquel que trouve-t-on ? eh bien, les cathédrales, le chant grégorien, les vertus de charité et de tolérance, et aussi la musique de Bach, les Nymphéas de Monet... Bref, tout ce que Mauriac écarte, avec un haussement d’épaule agacé.

Car lui ignore les touristes, tout comme les gardiens fatigués de ce Musée qu’est devenue l’Europe. Il pense aux saints et aux pécheurs pour qui “il ne s'agit pas (...) d'accepter un héritage national, ni de feindre la foi en des légendes qui aideraient au maintien de certaines vertus utiles. Si, par impossible, il leur était révélé que le Christ n'est pas le Fils de Dieu, ils ne le suivraient plus, fût-ce pour le salut d'une certaine civilisation, d'une certaine culture.” (op. cit. p. 209).


Oui, en effet, qu’est-ce que l‘art, la culture, les enjeux patrimoniaux, au regard des “promesses éternelles” ? On voit que le Mauriac de 1937 montrait une certaine vigueur. Il n’était pas “meanstream”. Ce n’était pas encore le Mauriac du Bloc-notes.


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