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Nous pouvons enfin parler de "Game of Thrones" 1


Le dernier épisode de la dernière saison de Game of Thrones s’est achevé il y a déjà un mois. Il est désormais permis de gloser sur l’ensemble de la série sans craindre de la “spoiler” en quoique ce soit. Ceux qui ignorent ses derniers retournements ne s’étant de toute façon jamais intéressés à elle.

Cette saison 7 est à mon avis une réussite alors même que des millions de spectateurs déçus ont pétitionné auprès du producteur pour qu’il la refasse. Certains, pour dissimuler la véritable cause de leur mécontentement, se sont attachés à pointer, de façon plus ou moins maniaque et vétilleuse, ses prétendues invraisemblances ou incohérences narratives. En réalité, ce qui les a désarçonnés, c’est qu’ils s’étaient engagés, de manière naïve ou irréfléchie, en faveur d’une des protagonistes, à savoir la si séduisante Danaerys (je n’ai pas été à cet égard plus malin que les autres : moi aussi, j’ai cru en elle). Ils étaient peu dans le public à avoir imaginé que, tout d’un coup, “la gentille” se transformerait en une “méchante”. Pari perdu qui a particulièrement affecté les nombreux couples d’étourdis qui ont, avant même que la série fût achevée, affublé leur fille du ridicule prénom de “Danaerys”.

Un des intérêts majeurs de la série réside justement dans son absence de manichéisme, caractéristique si évidente qu'elle ne pouvait qu’être rapidement perçue des spectateurs. C’est dès la saison 1 que plusieurs des personnages les plus importants apparaissent dans toute leur complexité. Que penser par exemple, à ce stade initial, de Tyrion Lannister, nain cynique et aigri qui boit, lutine et bouffonne ? Sa soeur Sersei n’est encore que la victime rageuse d’un mari brutal et épais, auquel elle est manifestement supérieure sans que cette supériorité lui serve à quoique ce soit. Elle se console de ses déboires conjugaux en aimant beaucoup ses enfants. Les Stark sont quant à eux bardés de toutes les qualités morales mais les faiblesses de leur clan, l’intelligence courte de Ned Stark, se révèlent assez vite. Ainsi de suite... Tout au long des autres saisons, on s’habitue à un univers où comme dans la vie, les personnages évoluent, manifestent leurs ambiguïtés. Les bons n’y sont pas nécessairement récompensés ni les méchants punis.

Mais si le réalisme psychologique, la crudité des luttes de pouvoir, la concision et l’acuité des dialogues caractérisent une des moitiés du monde, - celle, civilisée, de Westeros, où quelques clans féodaux intriguent les uns contre les autres - la naïveté puérile des contes de fées et du cinéma de cape et d’épée continue de régner dans l’autre moitié : à Essos.

Ce bout de continent quasiment désert, qu’un bras de mer, le “Détroit”, sépare de Westeros, ne compte que deux cités. Le reste est constitué de steppes désertiques parcourues par des cavaliers nomades. C’est là que nous faisons la connaissance de Danaerys, issue de l’ancienne famille régnante de Westeros, qui en fut détrônée il y a quelques années. Elle et son frère en sont les seuls survivants. Aussi démunis l’un que l’autre, ils ne disposent que du souvenir de leur père découronné et assassiné.

Deux intrigues courent donc parallèlement, l’une à Westeros où nous assistons à des jeux de pouvoir sans issue dont la complexité rappelle sur le plan littéraire tant les tragédies historiques de Shakespeare que la saga des Rois Maudits de Maurice Druon, une autre à Essos qui nous narre une ascension linéaire et radieuse, celle de la frêle mais supérieurement intelligente et rusée Danaerys. Laquelle, aidée de ses dragons, de ses pouvoirs magiques mais aussi de sa présence d’esprit, échappe aux situations les plus compromises. Le public, invité à sympathiser avec elle et à toujours prendre son parti, s’habitue à la voir triompher de tout.

Le manichéisme auquel nous échappons à Westeros, nous le retrouvons donc à Essos. Les stéréotypes des romans de cape et d’épée (A. Dumas, P. Féval, Zévaco) et des films qui en sont inspirés (le Capitan, Cartouche…), mais également ceux du space opera et de l’heroic fantasy, s’y rejoignent dans un simplisme commun et rassurant.

La série joue ainsi très habilement sur des codes narratifs étrangers l’un à l’autre - Shakespeare et Racine, d’un côté, George Lucas et Tolkien de l’autre - et sur les attentes que chacun des deux fait naître auprès du public. Car celui-ci, aussi hétérogène puisse-t-il être, géographiquement, culturellement, est au moins familier avec l’un de ces codes, sinon avec les deux (à suivre).





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