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Nous pouvons enfin parler de "Game of Thrones" 2


Ce qui caractérise la plupart des récits d’action et d’aventure, c’est bien-sûr qu’ils sont manichéens mais aussi que ce manichéisme est réversible à volonté, tant il est artificiellement plaqué sur une intrigue qui ne le rend pas nécessaire. Les divers personnages sont organisés et répartis par les auteurs et scénaristes en deux camps symétriques et hostiles de bons et de méchants d’une manière plus ou moins arbitraire, mais toujours conforme aux préjugés du public à un moment donné. C’est l’office du metteur en scène et de l’écrivain que de camoufler cet arbitraire, d’écarter tout doute sur la bonté ou la méchanceté foncières des protagonistes.

Ainsi, dans le cinéma d’action de l’après-guerre, les restes d’imagerie chrétienne encore présents dans l’esprit des spectateurs seront-ils utilisés pour aider à ce que les méchants puissent être rapidement repérés par eux : des acteurs aux traits accusés ou émaciés porteront des barbiches soigneusement taillées, noires et méphistophéliques. Ils s’opposent, démon contre archange, au héros positif et à son visage lisse et glabre. Le gentil, dépourvu de luxe vestimentaire, vêtu de tissus aux formes amples, aux couleurs vives et claires, sourira avec bienveillance et rira volontiers, tandis que le méchant, corseté dans ses capes et ses pourpoints sombres et richement ornés, se trouve dépourvu, quant à lui, de sens de l’humour et de rondeur dans ses gestes.


On songe à Guy Delorme, l’éternel méchant des films d’André Hunebelle et de Bernard Borderie, destiné à être tué par Jean Marais à la fin de chacun de ses films et à renaître au film suivant.

Mais il n’est bon qu’à figurer un méchant subalterne, sbire ou âme damnée. Au dessus de lui se tient un méchant supérieur, duc, prince, roi ou cardinal, homme de pouvoir supérieurement intelligent et rusé, contrairement au héros qui, lui, est un peu bête et ne revendique rien pour lui-même.





Enfin le méchant est de droite, le gentil un petit peu de gauche mais pas trop… Le Cartouche de Philippe de Broca, dont l’esprit révolutionnaire culmine dans le vol des montres de gousset (cela vaut-il d’ailleurs de massacrer des soldats ?), incarne toute l’inoffensive puérilité de ce gauchisme pour baby-boomers.


Les artifices de mise en scène, les codes narratifs, que je viens ainsi de rappeler, malgré leur naïveté, restent vivaces car ils sont consubstantiels au genre. Star Wars notamment y reste fidèle. La panoplie hitléro-prussienne sous laquelle apparaît Darth Vador le désigne d’emblée comme le méchant-type, promis à la mort lors du duel final, tout comme la blondeur et la jeunesse de Luke Skywalker, le débraillé picaresque de Han Solo, leur sont une chance de survie assurée.

Ce manichéisme n’est que de surface, sans soubassement religieux ou philosophique, loin de celui contre lequel furent décidées, au IIIe et IVe siècles, des campagnes de persécution. Les diables, cette fois-ci, y sont de carton. Quelques décennies passent et ils tombent en poudre.


Les Trois Mousquetaires, pour prendre cet exemple facile, reposent ainsi sur une confrontation Roi-Cardinal à ce point artificielle et dépourvue de sens que, dès Vingt ans après (soit, en réalité, un an après la publication des Trois Mousquetaires), Alexandre Dumas la remet en question. L’épisode de la Fronde, susceptible d’interprétations diverses, lui fait admettre la nécessité d’introduire des nuances, d’éviter les oppositions schématiques. Aussi place-t-il les Mousquetaires dans des camps opposés : d’Artagnan et Porthos du côté du pouvoir, Athos et Aramis du côté de la Fronde.

La figure des vainqueurs de l’histoire et des dirigeants légitimes, le Richelieu des Trois Mousquetaires, le Mazarin de Vingt ans après, le Louis XIV du Vicomte de Bragelonne marquent bien la difficulté d’utiliser l’Histoire à des fins légendaires. Les uns et les autres ne sont ni tout-à-fait bons, ni tout-à-fait méchants. Ils ont agi pour la grandeur de la France par des moyens certes dépourvus de grandeur mais efficaces. Pour un auteur de romans-feuilletons largement pourvu en bon-sens comme l’était Alexandre Dumas, point n’était besoin d’avoir longuement médité sur Tacite et Machiavel pour cesser de bêtifier dès qu’il s’agit pour lui d’évoquer les grandes dates et les grands personnages de l’Histoire de France. Michel Zévaco ou Paul Féval écrivent pour de grands enfants : Pardaillan, le Bossu restent emprisonnés dans des conceptions primaires, supportent difficilement d’être relus “vingt ans après”. Pas le roman de Dumas portant ce titre.


Le manichéisme demeure pourtant, mais il n’emprunte pas les chemins de l’histoire “revisitée”. Les véritables méchants, ceux pour lesquels aucune pitié n’est permise, ne sont pas Richelieu et Cromwell, mais les personnages fictifs de Milady et de son fils Mordaunt. Tous deux sont mis à mort par les Mousquetaires avec une insigne cruauté, et c’est une cruauté que le lecteur le plus bénin accepte très volontiers. Lui aussi vote “la mort” pour Mordaunt, dans ce procès improvisé qui referme Vingt ans après.

Quels sont donc les si grands crimes commis par Milady et son fils ? (à suivre)


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