"L'art représente la plus grande défaîte des hommes" 5

Cette chronique traite de la passion de l'art (ramené essentiellement à la peinture et la musique) comme substitut moderne de la religion. Pendant longtemps, cette dichotomie n'avait pas de sens car le beau a été perçu dans toute la tradition métaphysique occidentale comme une catégorie universelle équivalente à celle du vrai et du bien ou du juste (de Platon à Thomas d'Aquin et Kant). Par ailleurs, sur un plan plus historique et matériel, la production et l'expression artistique étaient surtout religieuses.
Dans la sphère occidentale, la sécularisation de l'art à l'époque moderne, et donc son autonomisation par rapport à la religion, correspond sans doute à l'émergence de cette religion de l'art comme substitut. Ce qui est paradoxal, c'est que pour jouer ce rôle et légitimer cette prétention, elle doive malgré tout continuer à se référer à des catégories anciennes de la philosophie (tradition platonicienne revisitées par la métaphysique kantienne). Proust est en plein dans cette deuxième phase, même s'il s'en défendrait. L'esthétisme d'un Swann analysé cliniquement par Ribot n'est qu'une pathologie de cette religion de l'art.
Mais le passage de Mauriac qui constitue le point de départ, correspond à une troisième phase qui serait celle où précisément l'art perd son statut ontologique qu'il conservait encore dans la deuxième phase. Il semble que l'idée de Mauriac d'une déchéance de l'art soit moins liée à la perte de son référent religieux (les cathédrales vides), qu'à la perte de la croyance (philosophique) en l'éternité de l'art et la conviction que l'effort pour détacher le beau de ce qui est poussière et retournera en poussière finit toujours par être vaincu. Vision matérialiste en quelque sorte des objets d'arts que ne transcende aucun universel de l'art. Et au delà de la matière, vision culturelle et historique : l'art est l'expression d'une civilisation (l'âme). Lorsque celle-ci se transforme ou disparaît, l'art lui-même devient mortel car il devient incompréhensible aux génération suivantes faute de conservation et de transmission d'un héritage et d'une culture commune. La perte de la valeur et du sens d'une forme d'expression artistique serait liée à celle de la civilisation et du type humain qui ont pu les produire. En ce sens, difficile de dire si la déploration de Mauriac correspond déjà comme il l'affirme à la description d'une réalité accomplie ou à une sombre prophétie sur la disparition d'une forme d'humanité et de civilisation.