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Fille contre mère : "Le Cercle de famille" d'André Maurois (1932)


Le Cercle de famille a été publié en 1932, après deux autres romans publiés la même année, Le Côté de Chelsea et Mes songes que voici, quatre ans seulement plus tard que Climats. Mais sa tonalité est très différente. J’y retrouve moins, notamment, la velléité de moralisation qui fait de Climats, en dépit de sa recherche de modernité, un roman désuet. Bonheur et conformisme y allaient de pair. La quête d’un bonheur vécu en dehors des liens conjugaux, même racontée avec une complaisance ambigüe, n’attirait finalement sur les impétrants que malheurs et souffrances.

Cette quête du bonheur, qui inspirera un autre roman en 1934 intitulé L’instinct du bonheur, est bien également au centre du Cercle de famille, mais c’est le conformisme bourgeois qui en sort, cette fois-ci, grand perdant.

L’histoire est centrée autour de deux femmes, la mère et la fille, Germaine et Denise Herpain. Germaine et Louis Herpain ont fait un mariage d’amour, bien vite compromis par le désamour de Germaine, et le couple sera malheureux. Denise épouse Edmond, pour lequel elle n’éprouve que de l’estime et une profonde amitié, et son couple se révèlera pourtant dans les épreuves plus solide que celui de ses parents.


Louis Herpain, le père de Denise, est l’héritier d’une dynastie d’industriels du textile normand (on retrouve le milieu de la bourgeoisie industrielle de province cher à Maurois), devenu chef d’entreprise par la volonté paternelle, alors qu’il aurait rêvé d’une carrière littéraire. La femme qu’il prend pour épouse, Germaine d’Hocqueville, est la fille de hobereaux ruinés. Réprobation unanime et durable de la famille Herpain à ce mariage, mais le jeune Louis, ébloui par la beauté et la très jolie voix de Germaine, réussit à l’imposer à ses parents et à son milieu. Germaine toutefois ne partagera que quelques années l’amour de son mari. Elle le trompe très vite avec Dr Guérin, jeune médecin apprécié de tous pour ses qualités professionnelles et, par ailleurs, excellent musicien. Cette infidélité suscite les commérages des domestiques et de toute la bonne société de Pont-de-l’Eure, ce dont Denise souffre dès son plus jeune âge.

Au lendemain de la première guerre mondiale, et alors que Denise a environ 18 ans, Mme Herpain, devenue veuve, devient Mme Guérin.


La vie adulte de Denise se construit le plus loin possible de Pont-de-l’Eure, en réaction à cette mère détestée et admirée à la fois et dans le souci de ne pas recréer pour ses enfants la situation familiale dont elle a elle-même souffert. Elle n’atteint cet objectif que difficilement, au prix de renoncements successifs aux histoires d’amour entreprises avant et pendant son mariage. Fils d’une lignée de banquier parisiens, qui doute de sa capacité à assurer la direction de la banque familiale, Edmond par son caractère, son rôle d’époux aimant et patient, ressemble trop au père de Denise pour que son choix soit dû au hasard. Denise mettra un point d’honneur à le soutenir et à l’encourager dans son métier.


Triomphe de la vertu, de la morale bourgeoise, du renoncement, sens des responsabilités conjugales et parentales …. Les péripéties du roman se déroulent dans un sens prévisible et assez convenu. Son intérêt pour le lecteur actuel réside dans une plongée dans l’histoire des années 20 et 30 : l’euphorie économique d’après-guerre, les investissements dans les colonies, les dîners mondains, les discussions autour de la candidature d’Aristide Briand aux élections présidentielles, les conséquences qu’aura sur ce petit monde le crach de 1932… Mais, tout comme le premier conflit mondial, ces éléments de décor n’affectent la vie des personnages que de façon marginale.

On serait donc tenté de commencer sans tarder un roman plus attractif, et de laisser là les 30 dernières pages… Ce serait dommage, car celles-ci opèrent un rebondissement feutré.


Invitée par sa mère à Pont-de-l’Eure où elle n’était jamais retournée, Denise découvre l’évidence de l’entente amoureuse, intellectuelle, artistique, entre sa mère et le Dr Guérin, devenu un médecin réputé dans la ville et un chercheur reconnu par ses pairs. Encore beaux et d’une grande dignité, ils offrent à leurs amis un concert «improvisé”, dont la qualité témoigne de leur amour commun et leur pratique quotidienne de la musique. C’est là pour Denise une révélation, et cette image de notabilité acquise en dépit des commérages passés, rassurante et valorisante, éteint soudain son animosité envers sa mère…

Le Cercle de famille se referme sur cette note apaisée, sur cette réconciliation en forme d’épilogue … qui laisse cependant le lecteur un peu frustré.


Que faut-il penser en effet de ce revirement dont les implications ne sont pas développées ?

Maurois donne-t-il en définitive raison à Mme Herpain, épouse infidèle et mère négligente ? Justifie-t-il le refus de celle-ci de renoncer à son amour pour le Dr Guérin, fût-ce au prix de la colère rentrée de sa fille, des médisances des domestiques et de sa belle-famille et de la réprobation triste de son époux ?

Mieux encore, ce roman se veut-il l’analyse du désordre que peut causer chez une enfant, jusque dans toute sa vie d’adulte, l’incompréhension et la souffrance devant la mésentente manifeste des parents ? du mépris qu’elle éprouve tant envers sa mère, « qui la déshonore », que de son père qui s’accommode de cette situation boiteuse ? de son incapacité à écouter ses propres sentiments, tant sa colère l’a rendue têtue et orgueilleuse ?

Denise, « petite provinciale ayant eu une enfance étrange », comme la qualifie son amie Solange, se rend-elle compte alors à quel point sa vie, construite en réaction contre ses souffrances enfantines, est restée vide de l’essentiel ?


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