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"MM. les architectes" (R. Rolland)


“5 septembre 1939. - Visite de Le Corbusier (...). Pour lui il ne paraît pas beaucoup s'en faire (...). Il avoue qu'il a grand-peine à se représenter l'état de guerre où nous vivons, depuis quelques jours (...). Il est surtout occupé, - comme toujours - de ses plans et de ses théories esthétiques. Il n'est pas loin d'espérer que des destructions de la crise actuelle, sortiront de plus vastes possibilités pour l'art (pour son art) de se réaliser. À la bonne heure ! Les braves gens qui se cassent la tête, dans les tranchées, ne se doute pas qu'ils doivent faire table rase de la vieille Europe (à commencer par eux), pour permettre à MM. les architectes de bâtir leur cité !” (R. Rolland : Journal de Vézelay 1938-1944 ; Bartillat, 2012, p. 258).


Depuis 1937, Romain Rolland vit retiré à Vezelay. Il y reçoit peu de visites et lorsque la guerre éclate, les visiteurs se font plus rares encore.

Parmi ceux qui manifestent leur amitié en faisant le déplacement, on compte son ancien condisciple du lycée Louis-le-Grand, Paul Claudel, avec qui les liens se sont renoués en mars 1940, après une longue éclipse. Ce sera au point qu’en juin, Claudel demande à Romain Rolland de lui rendre le service d’héberger chez lui pendant quelques mois son ancienne maîtresse Rosalie Scibor-Rylska, (avec qui il avait vécu la passion amoureuse transposée et magnifiée dans Partage de midi), et la fille issue de cette liaison illégitime, Louise Vetch. La cohabitation ne sera pas facile entre Rosalie Scibor-Rylska et Marie Rolland, l’épouse de Romain. Celle-ci, qui ressentait pour Claudel une “étrange attirance”, aurait exercé sur la mère et une fille une surveillance étroite et jalouse, rendant pour elles l’atmosphère “irrespirable” (T. Mourlevat : Etudes Romain Rolland, Cahiers de Brèves, n°36, 2015). Toutefois, à la faveur de ce séjour, un lien fort subsistera entre “les amies” de Claudel et la ville de Vezelay : Rosalie demande à y être enterrée et Louise Vetch dans sa vieillesse s’y retire pour y mourir en 1996.

Romain Rolland reçoit aussi de temps en temps la visite de Le Corbusier. La notation ici reproduite reflète l’agacement que celui-ci inspire parfois à son hôte par son exclusive passion pour l’urbanisme et l’architecture, au détriment de toute considération humaine, morale ou politique. Au détriment aussi de tout respect pour les constructions ayant auparavant existé. Celles-ci peuvent, si l’on en croit l’interprétation des propos de Le Corbusier faite par Romain Rolland, être sacrifiées sans inconvénients majeurs. L’intérêt est qu’elles soient remplacées par des architectures plus nobles et surtout plus corbuséennes.

“MM. les architectes” ne sont certes pas à l’origine des incendies de cathédrales non plus que des bombardements de quartiers historiques. Mais ils ne savent guère dissimuler les bouffées d’espérance que toute promesse de démolition et de reconstruction fait alors aussitôt naître dans leur esprit. La réflexion de Rolland, que je paraphrase ici, nous pouvons la faire nôtre beaucoup plus aisément qu’en septembre 1940, époque à laquelle la mégalomanie et l’égocentrisme de Le Corbusier n’étaient pas encore si répandues parmi ses confrères.


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