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"On croit la solitude favorable aux sentiments..." (Mme de Récamier)


On croit la solitude favorable aux sentiments ; le monde ne l'est pas moins. Cette multitude indifférente, sur laquelle le cœur ne peut jamais s'arrêter et qui semble se dérober à nous quand nous voulons y chercher de la sympathie ou de l’appui ; ces fêtes où les pompes de la vie nous ramènent à la conscience du vide et à la pensée du néant ; ce bruit qui, lorsqu'il ne nous distrait pas, ajoute à l'émotion qui nous occupe ; cette vue de l'objet préféré qui devient d'autant plus une partie de nous-même que personne ne devine cette affinité mystérieuse, l'intelligence qui s'établit ainsi sans avoir été prévue ou demandée, les regards qui disent d’autant plus de choses qu'ils n'ont qu'un moment pour les exprimer, la contrainte elle-même qui ajoute à l'intensité de ce qu'on éprouve et de ce qu'on cache, en le resserrant dans un espace plus circonscrit et dans un temps plus fugitif, toutes ces choses ont plus de séduction que la liberté de la campagne et l'épanchement de la solitude. Il est rare que, dans de longs entretiens, quelques points ne se sentent par lesquelles les cœurs ne se touchent pas. Le monde est un obstacle à cette découverte. On croit se suffire parce qu'on ne peut se donner que peu de chose, mais l'insuffisance vient de l'extérieur et non de soi et tout paraît renfermé dans ce qu'il faut laisser deviner. C'est comme la musique comparée à la parole ; la musique dit tout par un son, et son effet est plus grand parce qu'il est plus vague. La parole manque cet effet parce qu'elle a trop de développements à son service (Mémoires de Mme Récamier, in : B. Constant, Oeuvres, Biblioth. de la Pléiade, 2017, p. 946).


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