En 1953, le futur critique littéraire Mathieu Galey, âgé de 19 ans, se présente à l’examen d’entrée de Sciences-po. Le jour du grand oral, il assiste, avant son tour aux prestations des autres impétrants. Il ne tarde alors pas à s’apercevoir que sous le nom de culture générale, on entend en réalité la seule culture littéraire. Cette constatation lui donne une certaine assurance au moment d’affronter le jury. Il est effectivement reçu mais pas aussi aisément qu’il le croyait. D’une part, le niveau d’exigence en la matière était à cette époque élevé, comme nous pouvons nous en apercevoir au vu des questions posées. D’autre part, le jeune Mathieu Galey avait un peu présumé de ses forces :
“15 octobre 1953. - Entré à Sciences-Po. Heureux, en somme. À l'oral, un des “examinés” croyait que Péguy était un auteur du Moyen-Âge. À cause de Jeanne d'Arc, bien sûr. Le prof, un type assez pince-sans-rire, avec de larges sourcils noirs, avait l'air de beaucoup s'amuser. A un autre, qui planchait sur le grand Friedrich, il a demandé : “Vous n'avez jamais entendu parler des rapports entre Nietzsche et Wagner ? - Oh non, monsieur!” a dit le candidat, rouge d'indignation. Cet examen de culture générale n'est pas du luxe. Mais je n'ai pas été si brillant moi-même. Il m'a posé des questions sur Proust. “Qu'avez-vous lu ? - Tout !” Il a froncé sa broussaille et ne m'a pas cru. “Quels étaient les auteurs favoris de la grand-mère du narrateur ?” J'ai bien trouvé George Sand et Mme de Sévigné, mais impossible de me rappeler la comtesse de Boigne. “Il ne faut pas se vanter, jeune homme !” J'aurais voulu rentrer sous terre...” (M. Galey : Journal intégral ; coll. Bouquins, 2017, p. 26).
Quelques semaines passent et commencent les premières conférences de méthode. Et Mathieu Galey fait connaissance avec “le prof… assez pince sans rire” dont la sévérité avait réussi à le faire “rentrer sous terre” :
"7 novembre 1953. - A Sciences Po, j'ai pour maître de conférence l'examinateur goguenard qui m'a fait passer le concours d'entrée. C'est un normalien tombé dans la finance, qui porte un nom digne de Labiche : M. Pompidou. Très dilettante, il n'a pas l'air de nous prendre au sérieux, une cigarette au coin du sourire. Mais c'est un pragmatique, avec de bonnes recettes : “Ne vous noyez pas dans vos notes, dit-il d'une voix graillonnante, le plan d'un exposé doit tenir sur une carte de visite. N'oubliez jamais que vous êtes ici pour apprendre à parler clairement de ce que vous ne connaissez pas” (op. cit., p. 28).
コメント