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A quoi sert un parti politique ?


Introduction


Lorsqu’il y a quelques mois, j’ai entrepris de créer le site de la Stryge, j’avais en projet d’y tenir, au fil des jours, une “chronique de décomposition des partis politiques”. Une fois mis en ligne, le site a pris une orientation plutôt littéraire et culturelle qui se prête mal à l’insertion d’articles politiques. J’ai donc laissé cette chronique de côté et n’ai pas publié les quelques pages que j’avais commencé d’écrire. L’actualité m’a rattrapé. Je prévoyais, pour les partis politiques et pour le type de démocratie représentative qu’ils incarnent, une décomposition lente et cadavérique, non pas une pulvérisation soudaine, comme celle à laquelle nous assistons actuellement. Tant pis si je me suis trompé. En un moment aussi riche, il n’y a pas de sens à se river dans l’inactualité. Je reprends donc ma réflexion là où je l’avais laissée. Les pages qui vont suivre ont été rédigées alors que s’écoulaient des jours paisibles. Je me donne une semaine pour déstocker les textes de réflexion générale déjà écrits et pour rattraper le temps présent.


A quoi sert aujourd’hui un parti politique ?


Depuis quelques années, les partis politiques ne sont plus présentés et décrits par les politologues que comme des comités de sélection et de soutien des candidats aux élections présidentielles, voués à l’inaction le reste du temps. Encore cette fonction ne peut-elle être sérieusement exercée que par les quelques partis dit “de gouvernement”. Alors même que ces derniers ont déployé, lors des élections primaires, tout leur savoir-faire - les opérations se sont matériellement bien déroulées, ont attiré un grand nombre d’électeurs et elles ont su réunir une “droite” et une ”gauche”- le candidat finalement élu ne s’est trouvé issu d’aucun groupement politique, ce qui ne s’était plus vu depuis 1958. L’utilité des partis dans une élection présidentielle est donc fortement mise en doute.

Les partis politiques exerçaient une autre fonction et elle leur était si naturellement dévolue que les analystes ne songeaient plus à la relever, celle de servir de voie d’entrée obligée à l’exercice d’une fonction élective. Or la limitation du nombre des mandats vient d’ôter de facto aux responsables de parti tout pouvoir de contrôle sur l’activité et la parole des personnalités parvenues aux plus élevées de ces fonctions. Un maire de grande ville, un président de département ou de région, dès lors qu’il n’est plus député ou sénateur, est libéré de la discipline de vote qu’impose normalement le groupe parlementaire de son parti. De ce fait, il n’a plus aucune raison de taire ses opinions personnelles. Et pour exercer sa liberté de parole, mieux vaut se faire inviter à de confortables tribunes radio-télévisées plutôt que de jouer des coudes dans la cohue de la salle des 4 colonnes.

Et si un parti politique se grandit à rassembler des personnalités politiques de haut niveau, la réciproque n’est pas vraie. Dès que les grands élus se rendent compte qu’ils peuvent administrer, en toute liberté, par rapport à leurs partis, de grandes collectivités publiques, tout en préservant leurs chances de peser sur la politique nationale en intervenant, librement sur des médias de leur choix, pourquoi diable devraient-ils rester soumis à un parti qui risque,en outre, de leur n’être d’aucun secours dans des élections locales ? Il n’est qu’à voir l’ampleur des dérives à laquelle se laissent aller des hommes ou femmes politiques (E. Besson, C. Estrosi, J.-L. Debré, J. Toubon, S. Royal, etc.), dès lors qu’ils se sentent libérés de toute emprise partisane, pour mesurer à quel point celle-ci présente, pour un individu moyen (c’est-à-dire non fanatisé) un caractère tyrannique et artificiel. D’où la tentation, pour un gouvernement, de se contenter d’un parti majoritaire tel que LREM, sans passé ni avenir, sans cadres, sans talents et sans doctrine : d’un côté des personnalités sans parti, de l’autre un parti sans personnalités.


Au terme de ce processus, la forme d’organisation partisane est vouée à subir une sorte de délaissement ou d’abandon.

Les analystes consacrent peu d’attention à ce phénomène et préfèrent s’intéresser au prétendu dépassement du clivage droite-gauche qu’aurait réussi M. Macron. La désaffection des élus eux-mêmes à l’égard des partis politiques auxquels ils sont censés appartenir a pourtant, sur le devenir des sociétés politiques, une tout autre portée que le brouillage des doctrines politiques incertaines qu’ils feignaient de partager. Et surtout, contrairement à ce processus de déplacement des positions idéologiques, celui qui conduit à l’affaiblissement ou à la disparition des partis se laisse objectivement et précisément mesurer. La capacité d’une organisation politique à se financer, le fonctionnement normal de ses organes statutaires, le nombre d’adhérents à jour de cotisation permettent de savoir à coup sûr si cette organisation est encore en vie. Il est en revanche impossible d’afficher la moindre certitude et de tenir des propos clairs sur la pérennité à venir des catégories droite-gauche. Ce sont là des catégories suffisamment mouvantes pour que n’importe qui soit libre d’y venir s’y placer comme il l’entend et aucun politologue à aucune époque n’est parvenu à en donner une définition satisfaisante.


De manière générale, la presse s’intéresse peu à ces questions de fonctionnement et de vie des partis et à tout ce qui, dans ce fonctionnement, bride la liberté d’exercice d’un homme politique. Elle se cantonne, au mieux, à décrire les grandes tendances de l’électorat telles que les analysent les sondages, à indiquer lequel des responsables de parti chevauche actuellement telle ou telle de ces tendances et à mesurer la capacité que cela lui donnera pour rester au premier plan de l’exposition médiatique. Elle néglige tout ce qui, sur un plan juridique et institutionnel, s’impose de manière permanente à ces responsables. Par là même, est tue, par ignorance ou par pudeur, la manière dont des élus, dans le respect d’un cadre juridique et institutionnel donné, parviennent ou non à y satisfaire leurs appétits et leurs plaisirs.

La presse se plaît certes, à adopter, dans ses commentaires de l’action politique, un ton réaliste, voire cynique. Qu’un élu puisse être guidé par une certaine conception de l’intérêt général n’effleure notamment jamais l’esprit des journalistes politiques. Mais ces mêmes journalistes ne retiennent, au compte des intérêts particuliers pouvant être poursuivis par des hommes ou femmes politiques, que ceux qui s’attachent à une participation aux élections présidentielles. Ces sortes d’élections mettent aux prises des individus, et non pas des groupements ou des idées. Leur commentaire ne requiert pas d’autres connaissances que celles d’une psychologie de base. Il constitue à ce titre un exercice facile et plaisant. En revanche, tout ce qui, dans la vie quotidienne d’un élu ou d’un responsable politique, lui ouvre l’accès à des plaisirs simples et immédiats est presque toujours occulté. Pour avoir une idée de ce que peuvent être ces plaisirs et ces contraintes, il faut lire des ouvrages d’hommes politiques s’exprimant crûment (les Mémoires de Talleyrand, de Rémusat, d’Edgar Faure fourmillent d’indications à ce sujet) plutôt que les articles et les “analyses” de Christophe Barbier ou de Roland Cayrol.


Illustration 1 - Cet extrait d’un discours de Tocqueville fournit un excellent exemple d’un de ces réseaux de forces et d’intérêts qui, quelle que soit l’époque, peut traverser le champ d’action d’un homme politique et le faire agir ou ne pas agir:

“On se plaint (...) que des députés, pour obtenir la voix des électeurs, s'attachent plutôt à rendre des services qu’à satisfaire des opinions ; et comment voulez-vous encore qu'il en soit autrement ? comment voulez-vous que cette grande immoralité politique ne se retrouve pas quelquefois, lorsque le député, de son côté, est placé à poste fixe dans une sorte de tête à tête perpétuel avec un petit nombre d’électeurs dont il dépend, qui sont ses amis, ses voisins, ses proches, qu'il voit tous les jours, et qu'il trouvera bien plus de facilité à gagner un par de bons offices, qu’à satisfaire tous ensemble par des opinions” A. de Tocqueville, Discours du 18 janvier 1842 ; O.C., tome III, **, p. 206 ; Gallimard, 1985).


Il faut parallèlement, concernant la poursuite par les hommes politiques de leurs intérêts propres, ne pas grossir le propos, ne pas faire d’eux uniquement des hédonistes corrompus et égoïstes. Tous ne recherchent pas les mêmes plaisirs. Il convient d’opérer sur ce point des distinctions selon la qualité ou la catégorie de tempérament politique dont ils relèvent.

Ces distinctions constitueront l’objet d’une seconde chronique.


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