
"Dimanche 4 mars 1951. - Je n'ai jamais eu, même tout enfant, le moindre amour du prochain. Je suis même presque fermé à l'amitié.
J'ai eu deux grandes passions, purement physiques. Aucun sentiment. Rien que le plaisir. Ma partenaire aurait pu mourir en cours d’exercice, indifférence complète.
Méfions-nous des gens qui se jettent à notre cou, vous serrent dans leurs bras, pleins de belles paroles. Comme des individus ou des nations qui veulent porter le bonheur - ou la liberté, - à d'autres peuples. On sait comment cela tourne" (P. Léautaud : Journal littéraire 1940-1956 ; Mercure de France, 1986, p. 1915).
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Léautaud brosse l'auto-portrait de ce qu'on appellerait actuellement un sociopathe : froideur des sentiments, insensibilité et indifférence à autrui, ce qui mène logiquement à considérer que la vie de l 'autre a peu d'importance et donc de valeur. Le tueur en série“ pense" exactement cela…
Mais je pense qu'il se noircit et que c'est une forme de posture, assez littéraire.
Ayant lu une grande partie de son Journal, je dirais que l'impression qui se dégage sur le bonhomme est plus positive, même si l'existance en lui d'un amour de ses semblables est incertaine, pour ne pas dire inexistante…
- Oui, il y a de la posture. Car Léautaud, par sa vivacité, son attention aux autres, ressemblait peu à un sociopathe. C'est justement parce qu'il connaît, pour l'avoir éprouvée, la force des sentiments humains qu'il s'amuse à les heurter et à les nier dès qu'ils prennent une forme abstraite. J’imagine qu’écrivant cela, il glousse et s'esclaffe.
Imagine-t-il en revanche les réactions d'indignation possibles de ses lecteurs ? Je n'en suis pas sûr car Léautaud était dépourvu d'imagination. Il ne voyait de réalité qu'à ce qu'il avait devant les yeux.
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