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Le 8 bis de la rue Laurent-Pichat


En 1919, Proust est chassé de l’appartement qu’il occupait depuis 1907 au 1er étage du 102 boulevard Haussmann. L’immeuble a été racheté par une banque pour être transformé en bureaux. Voilà Proust bien désemparé, car il lui faut déménager en catastrophe, lui qui est incapable de régler la moindre question pratique. Il trouvera finalement à se reloger au 44 de la rue Hamelin mais, entretemps, il lui faudra vivre quelques mois au 8 bis de la rue Laurent-Pichat, petite rue d’une dizaine de numéros qui relie l’avenue Foch (le “boulevard du Bois“ à l’époque) à la rue Pergolèse. La comédienne Réjane, qui logeait là et qui a droit elle aussi de ce fait, et de même que Proust, à une plaque commémorative, y possédait, au 4e étage, un appartement meublé. Elle le réservait à sa fille lorsque celle-ci venait d’Amérique en France. Son fils, Jacques Porel, connaît Proust. Informé de la condition de SDF dans laquelle se trouve celui-ci, il lui propose en location ce logement pour l’instant inoccupé, moyennant un loyer, paraît-il, exorbitant. Proust, qui admire Réjane (il se serait servi d’elle pour construire les personnages de Rachel et de la Berma), est d’abord ravi d’avoir une telle propriétaire et de pouvoir s’entretenir avec elle quand il la rencontre dans l’escalier (M. Martin du Gard : Les Mémorables ; Gallimard, 1999, p. 210). Mais sa vie dans l’appartement se révèle rapidement être un enfer. En effet, les murs y sont trop minces. Dérangé par le bruit des voisins, il ne peut ni y dormir ni y travailler.

Aussi est-il conduit à écrire à Jacques Porel cette lettre qui, par son prosaïsme et sa drôlerie, conduit à regretter que La Recherche du Temps perdu renferme, quant à elle, si peu d’informations sur la vie matérielle de ses personnages. Car des détails tels que ceux qu’on va lire (entre autres que Proust aimait la bière fraîche), on ne les trouve que dans la Correspondance:


“Vous serez gentil de dire à Madame votre mère que je n'ai, rue Laurent-Pichat, ni piano ni maîtresse. Je suis innocent des bruits de l'immeuble qui amènent des réclamations d'un étage à l'autre. Les voisins dont me sépare la cloison font d'autre part l'amour tous les jours avec une frénésie dont je suis jaloux. Quand je pense que pour moi cette sensation est plus faible que celle de boire un verre de bière fraîche, j'envie des gens qui peuvent pousser des cris tels que la première fois j'ai cru à un assassinat, mais bien vite le cri de la femme, repris un octave plus bas par l'homme, m'a rassuré sur ce qui se passait. Je ne suis pas responsable de ce boucan qui doit être entendu jusqu'à des distances aussi grandes que ce cri des baleines amoureuses que Michelet montre dressées comme les deux tours de Notre-Dame” (G. de Diesbach : Proust ; Perrin, 1991, p. 672).


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