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Ximenès Doudan (1800-1872) - Morceaux choisis 1


Dans la Recherche, M. de Norpois exprime son mépris à l’égard de Bergotte en disant de lui qu’il est un “joueur de flûte”. Qu’eût-il dit de Ximenès Doudan ? Dans le grand orchestre romantique, ont joué les instrumentistes nés aux alentours de 1800. On a pu y confier à Victor Hugo la fonction de premier violon et la grosse caisse à Alexandre Dumas. Mais, pour y figurer, Doudan ne disposait même pas du souffle et de la technicité nécessaire à un bon flûtiste. Tout au plus y aura-t-il été un de ces bons élèves en solfège qu’on sollicite pour tourner les pages ou pour chanter dans les choeurs. Le vrai est qu’il est resté inaudible, tant sa voix était fluette. Elle n’était pourtant pas dépourvue d’expressivité, cette voix ; elle pouvait se faire aigre ou mélodieuse.


Commençons par l’aigre. Dans le post mis en ligne hier, j’ai fait allusion à l’étroitesse de goût constamment manifestée, tout au long du siècle, par Ximenès Doudan. C’est la sienne. Mais c’est aussi celle du milieu Broglie. Les historiens du romantisme littéraire distinguent, dans la partie éclairée du public, un courant libéral plutôt ouvert et bienveillant à l’égard des premières manifestations du romantisme, poésies de Lamartine, drames de Hugo… Ces bons esprits, libéraux en matière de littérature comme en matière de politique, s’exprimaient dans le journal “le Globe”. Ils se sont incarnés par exemple dans la figure de Rémusat.

Victor de Broglie était libéral en matière de politique lui aussi, mais, resté grand seigneur avec tout ce que cette posture sociale comporte d’instinctivement raide, il n’était pas question pour lui de se commettre avec des esprits imaginatifs. Nouer des relations amicales ou mondaines avec des romanciers était aussi incongru pour lui que pour le duc de Saint-Simon d’accueillir l’abbé Prévost à sa table. Les raisons qu’il avait de dédaigner la littérature de fiction n’étaient d’ailleurs pas sottes ; je me réserve d’en parler plus amplement. Mais, pour l‘instant, il n’est question que de son féal Doudan et de la façon dont celui-ci a docilement épousé les goûts et les dégoûts de son milieu d’adoption.

Ce n’est certes pas la meilleure part de sa prose. A n’en rester qu’à elle, on risque de ne voir en lui qu’un béotien dont les opinions devenues inécoutables ne valent qu’à titre historique et documentaire. Il s’en rendait au reste pleinement compte car il n’était pas idiot. Son grand ami Raulin, plus averti que lui, connaissait bien déjà la peinture du Trecento italien, quand Doudan, qui en était resté, sur ce point, à l’ignorance satisfaite du XVIIIe siècle, croyait taquiner ‘finement” et gentiment son correspondant en lui opposant les lettres du président de Brosses. De même en musique. Sous la Monarchie de Juillet, on écoutait Bach et Haendel comme on écoute aujourd’hui Hildegarde de Bingen : les tiers, les non-mélomanes ne pouvaient croire que le plaisir y eût sa part. De toute façon, il n’y avait pas de honte, à cette époque, quand on lisait Horace dans le texte, à se proclamer ignare en toute autre forme d’art.

Quand il aborde enfin la littérature nouvelle, Doudan manifeste la même incompréhension moqueuse. Le ton léger et supérieur qu’il affecte, à la manière d’un bel esprit du siècle précédent, est d’autant plus agaçant qu’on y devine la préoccupation de ne pas paraître dupe des grand génies du jour. Peut-être Doudan pensait-il recréer ainsi entre ses interlocuteurs et lui un de ces petits groupes qui se constituent à la fin des concerts ou des spectacles. Où se rejoignent ceux qui, n’ayant rien compris à ce qu’ils viennent de subir pendant deux heures, veulent toutefois, en échangeant de bons mots et en affichant une distance amusée et complice, ne pas trop laisser paraître qu’il sont des imbéciles.

Ximenès Doudan vaut mieux que les jugements qu’on va lire ci après, qui sont toutefois une bonne illustration de ce que pensaient les salons du faubourg Saint-Germain des quelques auteurs grâce auxquels ces salons doivent d’être encore connus de nous. Mais comme Cocteau l’a fait remarquer à propos de la faible curiosité que ces salons ont, quelques décennies plus tard, manifestée, cette fois-ci, pour l’oeuvre de Proust, les insectes ne lisent pas les traités d’entomologie !...




***

Sur la peinture


A M. Raulin, Coppet, 24 septembre 1841. - Ah ! Raulin, quelle peine j'ai éprouvée de ne pas pouvoir vous faire lire quelques passages du président de Brosses, dans son Voyage en Italie ! Il vous aurait causé un chagrin extrême. Il vous traite les peintres qui ont précédé la Renaissance avec goût et avec vigueur je vous en réponds. Il ne tiendrait qu'à vous de vous convaincre par cette lecture qu’Orcagna, que Cimabue, etc., etc., étaient des barbares. Cet homme a des expressions d'un mépris un peu aveugle qui vous percerait le cœur. J'ai senti, en ne pouvant pas vous causer cet amer chagrin, combien l'absence était un grand mal ; mais je vous montrerai tout cela à mon retour (X. Doudan : Lettres ; Calmann-Lévy, 1879, p. 275).


A Mme la vicomtesse d’Haussonville, Coppet, 28 septembre 1841. - Si ce président de Brosses n'était pas si singulièrement mal élevé, je vous dirais du bien de lui ; mais je suis certain que vous ne l'avez pas lu. Il est très véhément contre toute école de peinture qui a précédé le Perugin. J'ai envoyé soigneusement à M. Raulin un extrait des passagers les plus injurieux contre les effrayantes figures d'Orcagna et de Cimabue. Il ne me répond pas et je crois qu'il en est malade. Il estimait fort le président de Brosses comme ennemi de Voltaire, et celui lui aura été un rude coup (Ibid, p. 280).


A M. Raulin, Coppet, 11 décembre 1842. - (...) M. Raulin a des yeux qui saisissent dans les fonds noirs des paysages du Poussin une lumière que moi-même, malgré mon dénuement des biens de ce monde, j'avoue n'y avoir jamais vus (Ibid, p. 353).



Sur la musique


A M. Raulin, Broglie, 4 juillet 1842. - (...) Votre belle musique avec son admirable harmonie me met au supplice. Je n'aime que la mélodie, moi ; je le dis franchement, et je n'entends que des sons qui semblent l'accompagnement naturel d'un évanouissement. Mon chien est du même avis. Dès qu'il entend vos grands maîtres, il pousse lentement des hurlements plaintifs ; mais, si vous lui jouez du Rossini, son regard s'anime, et il remue la queue. Il la remue aussi pour Mozart ; mais, pour Bach et Haendel, ce sont des pédants. J'aimerais autant une littérature qui ne serait à la portée que d'une demi-douzaine de vieux savants qui entendent finesse à des tours tout bonnement ennuyeux.

Voilà qui est grossier, j'espère, et voilà qui va me déshonorer à vos yeux. Je vous entends d'ici vous dire tout bas à vous-même : O Raulin, quel goût, quelle âme, quelle sensibilité délicate le ciel t'a donné ! Je vous remercie, ô dieux, de n'être pas comme ce Béotien ! (Ibid, p. 321).



Sur Balzac


A Mme la comtesse d’Haussonville (Mère), 26 juin 1841. - (...) J'ai mis à part, pour vous être portés à Gurcy, deux nouveaux volumes de M. de Balzac et aussi un volume de M. X. Marmier racontant la suite de ses excursions dans le nord de l'Europe. M. Marmier est un homme d’un esprit distingué et qui n'a rien de l'insolence emphatique de la nouvelle école. Pour M. de Balzac, vous ne le connaissez que trop, mais, dans ce Curé de village que l'on vous apportera dimanche, il y a, dit-on, et, cet on, c'est M. Jouffroy et M. Dubois, membre du conseil royal de l'instruction publique, il y a, dit-on, vingt pages admirables. Il est vrai qu'ayant lu le livre, je n'ai pas trouvé ces vingt pages, mais je m'en rapporte à plus habile que moi (Ibid, p. 245).


A M. Raulin, Coppet, 12 octobre 1841. - Je suis loin de vous blâmer si vous lisez Sophocle dans vos soirées d'hiver, et j'accorde que c'est une nourriture plus saine que M. de Balzac, de toute la différence qu'il y a entre le miel de l’Hymette et un verre de mauvaise eau de vie de grain, de toute la différence qu'il y a entre Les flots bleus de la Méditerranée sous le soleil de Grèce et le tapis d'un billard d’estaminet sous l'éclairage du gaz. Es-tu content, Coucy ? Pour Boileau, il reste de tout point supérieur au même Balzac ; mais, au regard de Sophocle, c'est un barbare grossier, un naturel rude et bourgeois, que le chant de Racine, avec toute sa douceur, n'a jamais pu attirer dans les régions supérieures (Ibid, p. 268).



Sur E.T.A. Hoffmann


A Mme du Parquet, Broglie, 15 juillet 1841. - Je viens de relire quelques contes d'Hoffmann dont nous parlions l'autre jour. Le merveilleux de ces récits ne me fait plus rien du tout et ne me laisse plus ce petit malaise assez agréable de la peur du surnaturel (...). Tout se perd dans un nuage d'extravagances. Le pauvre Hoffmann s'était perdu l'esprit à force de l'exalter facticement. Il ne sortait plus de flamme continue, mais encore de vives étincelles. C'est la rage de ce temps-ci et des dernières cinquante années de vouloir penser et sentir au-delà de sa force. Le pauvre faiseur de contes a été une des premières victimes de cette manie. Coleridge en est mort en Angleterre. Ce n'est plus la végétation lente, tranquille et puissante de la pensée dans des époques moins pressées, mais tout se monte à présent au régime des chemins de fer (...). La génération actuelle lutte contre le temps, mais cet animal sournois fait ses petites affaires lentement. Il vous usera imperceptiblement tous ces esprits qui se hâtent. Je préfère beaucoup à toutes ces petites salades qui viennent sur couche en un clin d'œil un joli petit chêne qui a mis une centaine d'années à croître et qui tient sa tête du lever au coucher du soleil dans la lumière, tandis que la salade s’en va bien vite à la cuisine (Ibid, p. 253).



Sur Musset :


A M. A. de Broglie, Gurcy, 13 juin 1844. - (...) As-tu lu ces Caprices de Marianne? Ce n'est pas une pièce bien raisonnable, et j'aurais cru que cela tomberait tout à plat et que, de plus, les faibles seraient extrêmement scandalisés de l'étrange témérité du langage ; mais non. Mme Foy a une charmante figure, un peu tragique, et rien de ce qu'elle dit ne peut être pris en mauvais sens, M. de Rémusat a mêlé un peu de philosophie platonicienne à l’épicurisme dévergondé de son personnage, et tout a bien tourné (X. Doudan : Mélanges et lettres, II ; Calmann-Lévy, 1876, p. 20).



Sur Stendhal :


A Mme du Parquet, Broglie, 23 août 1841. - Je vois qu'il vous serait aussi facile d'écrire un livre charmant que de lire ce livre stupide de La Chartreuse. Je dis stupide de confiance, car je ne l'ai jamais ouvert, mais l'auteur et quelques-uns de ses autres livres ne me sont pas inconnus. C'est précisément le style et les façons que vous dites, un mauvais sujet au courant de tous les procédés d'imagination, ayant des recettes pour faire des pages plus encore que des idées. Ma conduite n'est pas à comparer à celle des personnes qui lisent de si vilains livres (X. Doudan : Lettres ; Calmann-Lévy, 1879, p. 270).



Sur Tocqueville :


A M. A. de Broglie, 19 janvier 1841. - M. de Tocqueville accusait hier le gouvernement d'ennuyer la France.

L'année Trublet prétend que je l'ennuie,

La représaille est juste.

On avait un froid de chien pendant son violent discours (X. Doudan : Mélanges et lettres, II ; Calmann-Lévy, 1876, p. 2).



Sur Vigny :


A M. A. de Broglie, 17 mars 1844. - (...) M. Mérimée est de l'Académie française. C'est toute une campagne que cette élection de M. Sainte-Beuve et de M. Mérimée (...). M. Mignet a d'abord été pour M. de Vigny contre M. Sainte-Beuve. Je ne sais où il a été chercher son admiration pour cet auteur poudré, frisé et musqué d’Eloa (Ibid, p. 8).



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