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L'Affaire Dreyfus au jour le jour : l'année 1894


Avant-propos

Les dimensions de plus en plus importantes, au fur et à mesure des textes collectés et des dates renseignées, que la chronologie de l'Affaire Dreyfus est vouée à prendre me contraint à adopter une présentation par tranches. Tranches annuelles pour l'instant, plus fines peut-être, lorsqu'il faudra aborder la grande année 1898.

Cet assemblage brut de dates et de citations ne peut être que le complément apporté à la lecture d'un ouvrage de synthèse sur l'Affaire présenté sous la forme traditionnelle d'un récit (à cet égard, je ne peux que recommander la lecture préalable du livre de Jean-Denis Bredin, suivie, une fois le cadre général ainsi bien mis en tête, de celle de l'Affaire sans Dreyfus" de Marcel Thomas et de "l'Histoire politique de l'Affaire Dreyfus" de Bertrand Joly).

L'intérêt d'une compilation chronologique, telle que celle que je m'efforce de réaliser ici, est plutôt de permettre la reproduction du plus grand nombre possible de textes contemporains de l'Affaire, sans du tout les détacher du moment précis où ils furent écrits. L'on se rend compte alors, presque visuellement, de l'évolution des esprits et de la radicalisation des opinions, de la succession plus ou moins rapide des événements. Leur simultanéité parfois, la façon dont ils se heurtaient les uns contre les autres avaient pour effet de les faire échapper à la perception et surtout à la compréhension de la plupart des acteurs, y compris de ceux qui disposaient du loisir et de l'énergie nécessaires pour se consacrer quotidiennement à leur suivi.

Cela explique que certaines réactions que je recueille témoignent d'un niveau assez faible (pour ne pas dire plus !) d'information. C'est notamment le cas des chroniqueurs des grandes revues comme Francis Charmes, lesquels constituaient pourtant, un peu comme Alain Duhamel ou Roland Cayrol actuellement, l'élite pontifiante du journalisme de l'époque. Mais il est important de les citer car c'était eux auprès desquels les notables et les gens graves se formaient une opinion.

D'autres citations enfin sont fantaisistes, comme l'évocation qui fut faite par Georges Bernanos d'une "journée historique" du 12 décembre 1898 au cours de laquelle la guerre aurait failli éclater entre la France et l'Allemagne. Mais, là encore, certains y croyaient...


L'année 1894 a été celle du démarrage de l'Affaire. Les origines en sont souterraines. En l'absence de sources contemporaines, j'ai donc été conduit, pour les évoquer, à citer presque textuellement des historiens modernes. Mais je vais m'efforcer ensuite de me détacher d'eux : pour humer le parfum de cette fin de siècle, rien ne vaut en effet le contact direct avec les acteurs et notamment avec Joseph Reinach, dont l'Histoire, d'une écriture entraînante, est en outre disponible en ligne grâce à Wikisource.




1894


20 juillet 1894

“Esterhazy, raconte /Schwartzkoppen/, se présente à l'ambassade d'Allemagne, où il demande à être reçu par l'attaché militaire, sous prétexte de se faire établir un passeport. Sans se nommer encore, Esterhazy déclare qu'il est officier français, et que sa déplorable situation financière (...) le contraint à offrir ses services à l'Allemagne (...). Il semble qu'on puisse accepter la date avancée, de façon concordante et indépendante, par les deux intéressés (...). Schwartzkoppen refuse ce jour-là d’y donner suite” (M. Thomas : L’Affaire sans Dreyfus ; Ed. Idégraf, 1978, p. 98-99).


22 juillet 1894

Schwartzkoppen écrit à ses supérieurs pour leur rendre compte des propositions d'Esterhazy et des scrupules qu'il a à les accepter (cf. M. Thomas, op. cit. p. 101).

.

26 juillet 1894

Schwartzkoppen reçoit de Berlin l'ordre de poursuivre les négociations avec Esterhazy.


27 juillet 1894

Esterhazy se représente à l'ambassade d'Allemagne “sans préavis” et se nomme pour la première fois. À titre d'échantillon de son savoir-faire, il apporte ce qu’il a : le journal de mobilisation de son régiment, le 74ème d'infanterie (cf. M. Thomas, op. cit. p. 103).


4 août 1894

Schwartzkoppen rencontre à Michelstadt le majeur Muller, chef du Nachrichtenbureau. Il reçoit l'ordre de poursuivre les négociations avec Esterhazy (cf. M. Thomas, op. cit. p. 103).


6 août 1894

Le commandant Esterhazy arrive au camp de Châlons, où il doit assister aux écoles à feu de la 3e brigade d'artillerie, auquel l'ont délégué ses supérieurs (cf. M. Thomas, op. cit. p. 106).


9 août 1894

D’après le capitaine Le Rond, le commandant Esterhazy quitte le camp de Châlons dans la journée pour n’y plus revenir ensuite.


13 août 1894

Schwartzkoppen retourne à Esterhazy le journal de mobilisation de son régiment, sans l'avoir trouvé d’un bien grand intérêt, dit-il. Peut-être à cette date ou bien le 15, il le rencontre pour parler du 120 court que le départ prématuré d’Esterhazy de Châlons l'a empêché de voir en action (cf. M. Thomas, op. cit. p. 103).


15 août 1894

Le commandant Esterhazy remet à Schwartzkoppen, avant de regagner Rouen, “le plan de mobilisation de l'artillerie nouvellement mis à jour”.


1er septembre 1894

Le commandant Esterhazy, d'après les carnets de Schwartzkoppen, passe à l'ambassade à six heures et demie du soir apporte à Schwartzkoppen trois nouveaux documents : une liste des troupes de couverture, “une description du 120 court” et le projet de Manuel. En échange, Schwartzkoppen déclare lui avoir versé 1000 francs.


5 septembre 1894

Le commandant Esterhazy revient apporter une communication sur les manœuvres de Sissonne.


6 septembre 1894

Le commandant Esterhazy livre un nouveau travail sur Madagascar.


15 septembre 1894

Le commandant Esterhazy part de Paris pour suivre personnellement les manœuvres de Beauce dirigées par le général de Galliffet.


26 septembre 1894

“C’est très certainement à cette date” (M. Thomas, op. cit. p. 132) que le commandant Henry, rentré de congés la veille, récupère auprès de Mme Bastian - entre autres documents - le bordereau adressé à Schwartzkoppen par le commandant Esterhazy aux environs du 27 août 1894 :

“Sans nouvelles m'indiquant que vous désirez me voir, je vous adresse cependant, monsieur, quelques renseignements intéressants :

1° Une note sur le frein hydraulique du 120 et la manière dont s’est conduite cette pièce ;

2° Une note sur les troupes de couverture (quelques modifications seront apportées par le nouveau plan) ;

3° Une note relative à Madagascar ;

4° Le projet de manuel de tir de l’artillerie de campagne (14 mars 1894)

Ce dernier document est extrêmement difficile à se procurer et je ne puis l'avoir à ma disposition que très peu de jours. Le ministère de la guerre en a envoyé un nombre fixe dans les corps, et ces corps en sont responsables. Chaque officier détenteur doit remettre le sien après les manœuvres.

Si donc vous voulez y prendre ce qui vous intéresse et le tenir à ma disposition après, je le prendrai. À moins que vous ne vouliez que je le fasse copier in extenso et ne vous en adresse la copie.

Je vais partir en manœuvres”.


“En ce qui concerne les quatre notes (...), on ignore en quoi elles consistaient ; mais il paraît certain que c'était non des documents originaux, officiels et secrets, mais, ainsi que le porte le bordereau, de simples notes contenant des renseignements, c'est-à-dire la relation de données que l'auteur avait pu recueillir, soit par ses observations ou ses lectures, soit au cours de conversations. Quant au projet de manuel de tir d'artillerie de campagne, il n'était ni secret ni confidentiel ; il avait été distribué en exemplaires non numérotés, originaux ou autographiés, aux officiers et aux sous-officiers,. Dès lors, un officier de toute arme, et même un sous-officier, aurait pu être l'auteur du bordereau et des notes. Cependant, comme les énonciations du bordereau visaient surtout des questions relatives à l'artillerie et que ces questions étaient de nature différente, on pensa que l'auteur du bordereau devait être un officier d'artillerie ayant passé par les bureaux de l'état-major général de l'armée” (D.1908, 1, p. 553).


6 octobre 1894

Le lieutenant-colonel Henri d’Abboville, sous-chef du 4e bureau de l’Etat-major, émet l’idée que l’auteur du bordereau serait un officier-stagiaire de l’Etat-major, connaissant bien les questions d’artillerie. Les soupçons s’orientent alors vers le capitaine Alfred Dreyfus, qui répond à ces deux caractéristiques et dont l'écriture offre quelques analogies avec celle du document..


9 octobre 1894

Au Conseil des ministres, le général Mercier demande à Eugène Guérin, garde des sceaux, de lui indiquer le nom d'un expert patenté en écriture. Guérin avance le nom de M. Alfred Gobert, expert à la Banque de France.


10 octobre 1894

Le général Mercier informe le président de la République Casimir-Périer qu’une lettre a été saisie à l'ambassade d'Allemagne, que cette lettre émane d'un officier de l'état-major de l'armée et que la trahison paraît démontrée. Puis il en informe également le président du conseil, Charles Dupuy. Tous deux conviennent de “procéder avec la plus grande discrétion” et d’en délibérer “en un petit conseil, composé du président du conseil, du ministre des affaires étrangères, du garde des sceaux et du ministre de la guerre”.

Le général Mercier téléphone au préfet de police Lépine et le prie de lui désigner un policier civil à la fois sûr et expérimenté qui pût, en cas de besoin, aider les militaires dans leur enquête et procéder, le moment venu, à l'arrestation du coupable. Lépine indiqua le nom du commissaire Cochefert.


11 octobre 1894

Le “petit conseil” se tient au ministère de l’intérieur. Le général Mercier annonce à ses collègues la découverte du bordereau et indique au terme de quelles investigations il a été conduit à conclure que le coupable, qu’il ne nomme pas, était un officier d’Etat-major. Il n’en convainc pas Gabriel Hanotaux, ministre des Affaires étrangères, qui se déclare non seulement opposé aux poursuites mais même à l‘enquête. Il est finalement décidé par le conseil que le garde des sceaux et le ministre de l'Intérieur mettraient à la disposition du ministre de la guerre le moyen de procéder, chez l’officier soupçonné, à une perquisition “qu'on essaierait de rendre secrète”.

Le général Mercier, de retour dans son ministère, confie à Alfred Gobert une mission d’expertise officieuse. Celui-ci se fait remettre par le général Gonse un dossier composé par le commandant du Paty de Clam, comportant le bordereau ainsi que des écrits du capitaine Dreyfus, à charge pour lui de comparer les deux écritures.

Gabriel Hanotaux tente en vain, lors d’une conversation “qui dura plus d’une heure”, de convaincre Mercier de renoncer à cette enquête..


13 octobre 1894

  • M. Gobert remet son rapport. Il conclut : “La lettre anonyme incriminée pourrait être d'une personne autre que celle soupçonnée”.

  • Le préfet de police remet les mêmes pièces pour examen à M. Alphonse Bertillon, chef du service de l’identité judiciaire à la préfecture de police. Celui-ci dépose, quelques heures après, un rapport qui conclut en ces termes : “Il appert manifestement pour nous de la comparaison des pièces que c'est la même personne qui a écrit la lettre et les pièces communiquées.”

14 octobre 1894

Le général Mercier délègue le commandant du Paty de Clam, attaché à l'état-major général de l'armée, pour procéder, en qualité d'officier de police judiciaire, à l'instruction à suivre contre le capitaine Dreyfus, inculpé de haute trahison, et désigne M. Gribelin, archiviste principal de 2e classe, pour remplir les fonctions de greffier.


15 octobre 1894

Le commandant du Paty de Clam fait subir au capitaine Dreyfus l’épreuve de la dictée en présence de MM. Gribelin et Cochefert et le met en état d'arrestation. le capitaine Dreyfus est conduit à la prison militaire de Paris, rue du Cherche-Midi, par le commandant Henry, attaché au service des renseignements.


18 octobre 1894

“Le commandant du Paty de Clam se rend à la prison, en compagnie de l'archiviste Gribelin qui lui sert de greffier, pour interroger Dreyfus dans sa cellule” (J.-D. Bredin : L’Affaire, 1983 ; coll. Presse-Pocket, 1985, p. 95).


20 octobre 1894

M. Bertillon adresse au préfet de police, M. Lépine, un second rapport, très développé où on lit in fine : “La preuve est faite péremptoire. Vous savez quelle était ma conviction du premier jour. Elle est maintenant absolue, complète, sans réserve aucune”.


22 octobre 1894

Par trois ordonnances, le préfet de police commet MM. Eugène Pelletier, Étienne Charavay et Pierre Teyssonnières, experts près le tribunal de la Seine, à l’effet, serment préalablement prêté, “d'examiner si l'écriture du bordereau était de la même main que les pièces donné à titre de comparaison”.


25 octobre 1894

Dans son rapport, l'expert Pelletier n'attribue pas le bordereau à la personne soupçonnée.


Samedi 27 octobre 1894

Le commandant Forzinetti, directeur de la prison du Cherche-Midi, envoie un rapport alarmant à Mercier au sujet de l'état mental du capitaine Dreyfus : “Cet officier est dans un état mental indescriptible. Depuis son dernier interrogatoire, subi jeudi, il a des évanouissements et des hallucinations fréquentes. Il pleure et rit alternativement, ne cesse de dire qu'il sent son cerveau s'en aller. Il proteste toujours de son innocence, crie qu’il deviendra fou avant qu'elle soit reconnue. Il demande constamment sa femme et ses enfants. Il est à craindre qu'il ne se livre à un acte de désespoir, malgré toutes les précautions prises, ou que la folie ne survienne”. Convoqué aussitôt par le général Mercier, il lui assure que Dreyfus est aussi innocent que lui.


Dimanche 28 octobre 1894

  • Le docteur Defos du Rau visite Dreyfus, ordonne des potions calmantes et une surveillance des plus rigoureuses.

  • Une lettre signée “Henry” informe le journaliste Papillaud de La Libre Parole de l'arrestation de Dreyfus.


Lundi 29 octobre 1894

  • Les experts Charavay et Teyssonnières déposent leurs rapports dans lesquels ils se prononcent affirmativement sur la question qui leur est posée.

“Ainsi, sur cinq experts en écriture, trois seulement étaient d'avis que le bordereau émanait de Dreyfus. C'est seulement trois ou quatre ans, que furent saisies des lettres du commandant Ferdinand Walsin-Esterhazy. L'écriture est identique à celle du bordereau. Aussi M. Charavay n'a-t-il pas hésité, dès qu'il en eut connaissance, à modifier son opinion et à attribuer le bordereau au commandant Esterhazy.” (D.1904, 1, p. 553).

  • “Est-il vrai que récemment une arrestation fort importante ait été opéré par ordre de l'autorité militaire ? L'individu arrêté serait accusé d'espionnage. Si la nouvelle est vraie, pourquoi l'autorité militaire garde-t-elle un silence absolu ? Une réponse s'impose” (La Libre Parole).


Mardi 30 octobre 1894

“La séance de la Chambre fut très dure pour Mercier” (J. Reinach : Histoire de l’Affaire Dreyfus ; La Revue blanche, 1901, t. 1, p. 197).


Mercredi 31 octobre 1894

  • L'enquête du commandant du Paty de Clam prend fin. Dans son rapport, il laisse au ministre “le soin de juger quelle suite il convient de donner à l’affaire”.

  • L'Eclair confirme l'arrestation d'un officier, “non toutefois un officier supérieur”. La Patrie parle d'un “officier israélite attaché au ministère de la Guerre”. Le Soir révèle que “l'officier en question” s'appelle Dreyfus, il a 35 ans, il est capitaine d'artillerie et est attaché au ministère de la Guerre. Dans la soirée, le général Mercier envoie une note à l’agence Havas. il y convient de “l’arrestation provisoire d’un officier (...), soupçonné d'avoir communiqué à des étrangers quelques documents peu importants, mais confidentiels. Une solution pourra intervenir à très bref délai”.

Jeudi 1er novembre 1894

  • La Libre Parole fait paraître en manchette : “Haute trahison. Arrestation de l'officier juif A. Dreyfus”. Un Conseil de cabinet est alors convoqué d'urgence au ministère de l'Intérieur. Sur le rapport du général Mercier, les poursuites contre Dreyfus, l'ouverture d'une instruction judiciaire sont décidées à l'unanimité. Dupuy et le général Mercier en informent le président Casimir-Périer.

“Quel exemple plus flagrant d'anarchie que celui du Général Mercier, ministre de la guerre, engageant de son initiative propre le procès de 1894, sans prendre l'avis de ses collègues du cabinet et du chef de l'État ?” (T. Ferneuil : La Crise de l’Etat républicain ; Revue politique et parlementaire, 1899, p. 238).

  • Pannizardi fait part au général Marselli, commandant en second de l'Etat-Major à Rome, de l'émotion produite par l'arrestation de Dreyfus, s'empresse d'assurer son chef qu'il n'a jamais eu de rapports avec “cet individu”, et que son collègue allemand n'en sait rien. Il termine par cette question déguisée : “J'ignore si Dreyfus avait des relations avec le commandement de l'Etat-Major”.


Vendredi 2 novembre 1894

  • Le général Mercier transmet le dossier au gouverneur militaire de Paris, le général Saussier.

  • Pannizardi télégraphie en chiffre au général Marselli : “Si le capitaine Dreyfus n'a pas eu de relations avec vous, il conviendrait de charger l'ambassadeur de publier un démenti officiel, afin d'éviter les commentaires de la presse”. Marselli répond, le même jour, par dépêche : “L'état-major italien et tous les services qui ont relèvent n'ont jamais eu de rapport direct ou indirect avec le capitaine Dreyfus”.

Samedi 3 novembre 1894

Le général Saussier signe l'ordre d'informer. L'instruction est confiée au commandant Besson d’Ormescheville.


Dimanche 4 novembre 1894

M. Guénée, agent de police détaché au ministère de la guerre, dépose deux rapports relatifs aux éléments moraux de l'accusation, mais ils concernent non le capitaine Dreyfus, mais un homonyme.


7 novembre 1894

Le télégramme chiffré de Pannizardi en date du 2 novembre 1894 est déchiffré par les services du ministère des Affaires étrangères et sa traduction remise au colonel Sandherr.


9 novembre 1894

  • La Patrie croit savoir de source autorisée que des lettres de Dreyfus à Schwartzkoppen ont été saisies.

  • La préfecture de police remet au commandant Henry une note indiquant que le capitaine Dreyfus était inconnu dans les cercle de jeux de Paris.

10 novembre 1894

L'ambassade d'Allemagne à Paris fait paraître une note dans le Figaro : “Jamais Schwartzkoppen n'a reçu de lettres de Dreyfus. Jamais Schwartzkoppen n'a eu aucune relation, ni direct ni indirecte, avec lui. Si cet officier s'est rendu coupable du crime dont on l'accuse l'ambassade d'Allemagne n’est pas mêlée à cette affaire”.


17 novembre 1894

Mercier déclare au Journal que l'instruction poursuivie contre Dreyfus serait clause dans les dix jours. “Pour rassurer l'opinion publique, poursuivit-il, je n'hésite pas à vous affirmer qu'il n'y a pas eu une seule pièce détournée et que les renseignements livrés n'ont pas l'importance qu’on leur attribue... Dreyfus, au cours de son stage, n'a eu entre les mains, ou sous les yeux, que des documents d'ordre secondaire”.


19 novembre 1894

M. Guénée dépose un nouveau rapport.


22 novembre 1894

“L'affaire Dreyfus prend une très vilaine tournure pour le gouvernement. Nous avons interrogé dans la soirée plusieurs officiers supérieurs, tous nous ont répondu par le dilemme suivant : - ou le général Mercier a fait arrêter sans preuves le capitaine Dreyfus, et dans ce cas sa légèreté est un crime ; - ou il s'est laissé voler les pièces établissant la trahison et dans son cas son imprévoyance est une bêtise. Dans les deux cas, le général Mercier est indigne du poste qu'il occupe. Dans sa situation, on est aussi coupable d'être bête que d'être criminel” (La Libre Parole).


28 novembre 1894

Le général Mercier accorde à Charles Leser, un journal du Figaro, une nouvelle interview où il déclare : “On a dit que le capitaine Dreyfus avait offert des documents secrets au gouvernement italien. C'est une erreur. Il ne m'est pas permis d'en dire puisque l'instruction n'est pas close. Tout ce que l'on peut répéter c'est que la culpabilité est absolue, certaine”.


28 novembre 1894

“Le 28 novembre eut lieu, à la Chambre des députés, une interpellation au cours de laquelle MM. Poincaré et Barthou, anciens ministres du cabinet de 1894, déclarèrent, “pour libérer leur conscience”, qu'ils avaient, ainsi que deux de leurs collègues, MM. Delcassé et Leygues, connu l'arrestation du capitaine Dreyfus quinze jours après l'événement et par un article de journal. Sur une observation de M. Cavaignac, relative au récit des aveux de Dreyfus attribués au capitaine Lebrun-Renaud, M. Poincaré ajouta : “M. Charles Dupuy nous a dit à nous-mêmes qu'il n'avait pas reçu la déclaration de ces aveux”. MM. Charles Dupuy, Delcassé et Leygues n’opposaient aucune contradiction à ces affirmations successives. M. Dupuy refusa néanmoins d'intervenir pour retarder la réunion du conseil de guerre, mais suggéra qu'il appartenait à la Cour de cassation d’user des pouvoirs à elle conférés par le code d'instruction criminelle en réclamant, pour son enquête, les originaux des pièces du dossier. Le gouvernement se dérobait à la responsabilité et nous conviait à l'assumer” (A. Bard : Six mois de vie judiciaire, p. 69).


30 novembre 1894

  • M. de Munster vient protester officiellement auprès de Gabriel Hanotaux et déclare que personne à son ambassade n'avait eu de rapport avec Dreyfus.

  • Gabriel Hanotaux adresse une note à l'agence Havas qui déclare “dénuées de tout fondement les allégations des journaux, qui persistent à mettre en cause, dans diverses articles sur l'espionnage, les ambassades et légations étrangères”.

3 décembre 1894

L'acte d'accusation est déposé. Il tend à la mise en jugement. “Les éléments matériels de l'accusation (...) consistent dans la lettre missive incriminée, dont l'examen par la majorité des experts, aussi bien que par nous et par les témoins qui l'ont vue, a présenté, sauf des dissemblances volontaires, une similitude complète avec l'écriture authentique du capitaine Dreyfus”.


4 décembre 1894

  • Sur conclusions conformes du commissaire du Gouvernement, le commandant Brisset, le général Saussier signe l'ordre de mise en jugement.

  • Gabriel Hanotaux rappelle au Conseil des ministres les engagements qui avaient été pris au sujet du bordereau, à savoir que le lieu d'origine de ce document ne serait pas révélé.

12 décembre 1894

“L'état-major vécut dans le souvenir et comme l'oppression de la célèbre journée historique du 12 décembre 1894, lorsque après l'arrestation du capitaine Dreyfus, le comte de Munster, ambassadeur d'Allemagne, mécontent du ton de la presse française, réclamait à M. Hanotaux, cloué au lit par la grippe, ses passeports, tandis que dans la pièce voisine le général Mercier, ministre de la guerre, signait les télégrammes préparatoires d'une mobilisation qui nous eût surpris dans les circonstances les plus défavorables, en pleine réfection de notre matériel d'artillerie (Mercier venait d'adopter le 75) et quelques jours après la mort du Tsar, notre unique allié” (G. Bernanos : La Grande Peur des bien-pensants, 1931 ; Essais 1, Biblioth. de la Pléiade, 1971, p. 259).


13 décembre 1894

Gabriel Hanotaux adresse une nouvelle note à l'agence Havas : “Il est absolument inexact que M. de Munster ait entretenu M. Hanotaux de l’Affaire, autrement que pour protester formellement contre toutes les allégations qui y mêlent l'ambassade d'Allemagne”.


19 décembre 1894

Le procès commence devant le premier conseil de guerre permanent du gouvernement militaire de Paris (président : le colonel Maurel ; assesseurs : commissaire du gouvernement : le commandant Brisset ; avocat : Edgar Demange). Le conseil de guerre, sur réquisition du commissaire du Gouvernement, ordonne le huis-clos.

Audition des témoins : le général Gonse, le général Fabre, le lieutenant-colonel d’Abboville, le commandant du Paty de Clam, le commandant Henry, le major Gribelin.


20 décembre 1894

Audition des experts. “Dans un jargon nouveau, “hérissé de mots barbares”, Bertillon vint exposer la thèse de “l'autoforgerie” il parle de Dreyfus en l'appelant le coupable. Il commente, devant les juges ahuris, son fabuleux diagramme (...). Les autres experts ne font que répéter leurs conclusions. L'expert Gobert - qui maintient avec fermeté ses conclusions favorables à Dreyfus - gène manifestement l'accusation. Viennent enfin les témoins à décharge : des Alsaciens qui viennent attester l’honorabilité de la famille (...), des officiers (....), le rabbin Dreyfuss de Paris, le philosophe Lévy-Bruhl, le docteur Vaucaire, l'industriel Arthur Amson” (J.D. Bredin, op. cit. p. 125-126).


21 décembre 1894

Réquisitoire du commandant Brisset, plaidoirie de Me Demange. Le conseil se retire pour délibérer. Au cours de ce délibéré, le commandant du Paty de Clam fait remettre au président du conseil de guerre, de la part du ministre de la Guerre, une enveloppe scellée, avec “l'ordre moral aussi complet que possible”, de communiquer le dossier au juge, pendant leur délibéré. Obéissant à l'ordre reçu, le colonel Maurel rompt le scellé, ouvre l'enveloppe, lit certaines pièces et en fait lire d'autres par le lieutenant-colonel Echemann. “Que cette communication, cachée à la défense, viole le droit, le code militaire, l'équité, il semble qu'aucun juge ne le soupçonne” (cf. J.D. Bredin : op. cit., p. 127).


22 décembre 1894

Par jugement rendu à l'unanimité, le capitaine Dreyfus est déclaré “coupable d'avoir, en 1894, à Paris, livré à une puissance étrangère ou à ses agents un certain nombre de documents secrets ou confidentiels intéressant la Défense nationale, et avoir ainsi entretenu des intelligences avec cette puissance ou avec ses agents, pour procurer à cette puissance les moyens de commettre des activités ou d'entreprendre la guerre contre la France”. Il est condamné à la peine de déportation à vie dans une enceinte fortifiée hors du territoire continental.


“Un fait “d'une exceptionnelle gravité, demeuré quelques temps inconnu, avait entraîné la condamnation (...). Après la clôture des débats, en chambre du conseil, à l'insu de l'accusé et de son défenseur, des pièces non versées à l'instruction avaient été communiquées aux juges (...) Mais cette violation des droits de la défense ne fut révélée qu'au mois de septembre 1896 par un article du journal L'Eclair et régulièrement prouvée que plus tard.” (D.1906, 1, 162).


“Ne fallait-il pas que le sentiment de la responsabilité et de la solidarité ministérielle fut atteint dans ses sources vives pour qu'un membre d'un cabinet parlementaire osât communiquer des pièces secrètes aux juges en dehors de l'accusé et de son défenseur, sans que le Gouvernement tout entier eût été appelé à sanctionner par une adhésion formelle des procédés aussi anormaux ? L'intervention sensationnelle d'Henry, venant désigner du doigt le coupable aux juges militaires sur l'ordre du ministre, n'est-elle pas aussi un symptôme irrécusable du désarroi qui régnait alors dans les hautes sphères gouvernementale ?” (T. Ferneuil : La Crise de l’Etat républicain ; Revue politique et parlementaire, 1899, p. 238).


31 décembre 1894

Le recours en révision formé devant le conseil permanent de révision de Paris (président : le général Gossart ; rapporteur : le colonel de Rochemont ; commissaire du gouvernement : le commandant Romain ; avocat : Boivin-Champeaux) est rejeté à l'unanimité,

“Attendu que le premier conseil de la guerre de Paris, qui a condamné le capitaine d'artillerie Alfred Dreyfus pour crime de haute trahison à la peine de la déportation dans une enceinte fortifiée et à la dégradation militaire, était compétent pour statuer;

Attendu que la procédure était régulière et que la peine a été légalement appliquée à des faits justement qualifiés”.



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