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Qu'est-ce que la liberté d'un point-de-vue juridique ?


Réflexion sur "L’institution de la liberté", de Muriel Fabre-Magnan, puf, octobre 2018.

Qu’est ce que la liberté d’un point de vue juridique ? Mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur du monde dit-on après Albert Camus. Avec son ouvrage “L’institution de la liberté" , le professeur Fabre-Magnan fait oeuvre salutaire de clarification sémantique. L’époque nous a malheureusement habitué à nommer par un mot la réalité exactement inverse. La « liberté » n’échappe pas à cette perte de sens. Sa définition contemporaine, bien prosaïque, se résume souvent au « droit de faire ce que l’on veut ». Pourtant, cette équation est manifestement erronée.


La première erreur consiste à confondre la liberté et le droit. La liberté n’est pas le droit.


1) La liberté n’est pas le droit


La liberté s’entend initialement, depuis le Moyen-Âge et la Magna Carta de 1215, comme l’absence d’arrestation et de détention arbitraires. La personne est protégée dans son corps et dans ses mouvements contre toute forme de contrainte physique arbitraire. La liberté revêt ainsi une dimension quasi « charnelle ».

Celle-ci s’est par la suite enrichie d’une dimension « spirituelle » regroupant des libertés fondamentales telles que la liberté de se marier, la liberté d’entreprendre ou la liberté d’expression. Puis le noyau dur des libertés dites fondamentales n’a eu de cesse de s’élargir. La liberté se définit alors comme la faculté de faire des choix pour soi-même dans tous les domaines de l’existence. Cette conception d’inspiration américaine et directement reprise à son compte par la Cour européenne des droits de l’homme a pour siège une interprétation très extensive du « droit au respect à la vie privée » (article 8 de la CESDH), sorte de cheval de Troie juridique conduisant à faire entrer au titre des « libertés fondamentales » des pseudos libertés. La liberté est ainsi, en droit positif, une faculté d’autodétermination.

Mais, techniquement, la liberté n’ouvre pas nécessairement de « droits ». Le droit est en effet le stade ultime du système juridique. Il implique une relation créancier-débiteur où le titulaire du droit (le créancier) est en droit d’exiger de son débiteur (le cocontractant, l’Etat, le corps médical, etc) une prestation ou une abstention. Au « droit » d’une personne répond nécessairement l’ « obligation » d’une autre personne. D’un point de vue juridique, le droit est donc nécessairement un dû, là où la liberté est une simple faculté.


De cette différence, trois illustrations:

- Le mariage est toujours une faculté ouverte à toute personne réunissant les conditions posées par la loi (une liberté), mais n’est jamais une obligation ni un dû (la société n’est pas tenue de trouver à chacun de ses membres un époux ou une épouse) ;

- Concevoir des enfants est une faculté ouverte à toute personne, mais n’est jamais une obligation ni un dû que le corps médical devrait offrir. L’enfant est bien davantage un « don » qu’un « dû ». Ainsi, il convient de parler de « liberté de concevoir » et non de « droit à l’enfant » puisque personne ne peut exiger de quelqu’un en particulier ou de la société en général d’obtenir un enfant.

- Vendre sa maison est une faculté (liberté contractuelle). Mais une fois conclu, le contrat de vente crée des droits et des obligations (obligation de transférer la propriété du bien objet de la vente d’un coté et obligation d’en payer le prix de l’autre, ou droit d’obtenir le transfert de propriété d’un coté et droit d’obtenir le paiement du prix de l’autre).


L’assimilation fréquente du droit et de la liberté est donc rigoureusement erronée. Par la reconnaissance de « droits », l’Etat apporte sa plus forte approbation juridique et symbolique puisque le droit est un dû. Ceci explique, par exemple, que la prostitution ne soit pas techniquement un droit c’est à dire une relation créancier-débiteur par laquelle le créancier (le client) serait en mesure d’exiger du débiteur (le prostitué) l’exécution forcée de son droit (la prestation sexuelle), le cas échéant devant un tribunal. La prostitution est bien davantage considérée comme une liberté, déclinée sous la forme de la liberté d’entreprendre et de la liberté sexuelle, quoiqu’au sens le plus mou du terme puisque la logique à l’oeuvre est de plus en plus répressive. De même, ceux qui prônent la légalisation du « suicide assisté » revendiquent non pas la liberté de mettre fin à ses jours, mais le droit d’exiger d’autrui (du corps médical) qu’il ratifie son désir de mort.

Ainsi, et de manière paradoxale, les tenants du libéralisme culturel qui utilisent et dévoient le concept de « liberté » pour revendiquer en réalité plus de « droits » font la part belle à l’intervention de l’Etat, d’abord pour la reconnaissance desdits droits, ensuite pour leur garantie effective.


Avoir un droit et avoir une liberté ne signifient pas la même chose. La liberté n’est donc pas le droit de faire ce que l’on veut.


« Faire ce que l’on veut » n’est pas davantage l’exercice de la liberté. La deuxième erreur consiste à confondre le consentement et la liberté.


2) Le consentement n’est pas la liberté


Suffit-il de consentir pour être libre ? La question est complexe et sa réponse appartient en grande partie au philosophe. Le juriste peut répondre d’emblée par la négative. Par hypothèse même, faute de pouvoir sonder les coeurs et les reins, le juge est incapable de vérifier la réalité (c’est à dire l’intériorité) du consentement. Il n’en contrôle que son extériorisation, à travers principalement la théorie des vices du consentement. Mais son contrôle sera nécessairement imparfait. Pour cette première raison, la prudence est de mise lorsqu’il est question de consentement.


« Mais il a consenti », « mais elle a consenti ». On entend trop souvent l’antienne pour justifier tous les renoncements possibles, jusqu’au renoncement ultime à la propre dignité de l’autre. Le professeur Fabre-Magnan rappelle à juste titre que, techniquement, le consentement oblige alors que la liberté permet. Le consentement appartient au vocabulaire du droit des contrats dont l’objet même est de créer des obligations. Consentir, c’est donc par définition aliéner une partie de sa liberté. Pour cette raison, le consentement n’est pas tout-puissant et s’incline devant certaines libertés. Exemples:

- On ne peut pas consentir à aliéner sa liberté de mariage. Les promesses de mariage sont donc nulles;

- On peut consentir à aliéner sa liberté de commerce et d’industrie, mais en partie seulement. Pour cette raison, les clauses de non concurrence doivent être limitées dans le temps et dans l’espace.

- On ne peut pas consentir à un contrat de mère-porteuse au nom du principe d’indisponibilité du corps humain (et donc d’indisponibilité du ventre de la femme).


Ce n’est pas à dire que le consentement et la liberté soient antinomiques. Le consentement est une partie de la liberté; il s’agit de la liberté contractuelle. Mais le consentement n’est pas le tout de la liberté. Il est des libertés inaliénables et donc non contractualisables. Pour le dire autrement, le consentement est bien souvent une condition nécessaire de la liberté, mais non une condition suffisante.


Le législateur en a pris conscience depuis la fin du XIXème siècle en bâtissant, par exemple, un droit du travail où la place du consentement du salarié est réduite à portion congrue. Il sait que, dans des situations d’asymétrie ou de vulnérabilité, il se trouvera n’importe qui pour consentir à n’importe quoi. Il se méfiait donc à juste titre du consentement du salarié à renoncer, sous la pression de son employeur, aux protections offertes par la loi. Le même raisonnement vaut pour le cas des mères-porteuses.


Et puis, le citoyen consentirait-il librement et sans pression qu’il n’en demeure pas moins des règles de vie communes que la société a décidé d’élever au rang « d’indérogeable ». D’aucuns de mettre, au titre de ces indérogeables, par exemple, le repos le dimanche ou la non-dissimulation du visage dans l’espace public. Pourquoi les questions du travail le dimanche ou du port de la burqua se poseraient-elles sous le seul angle du consentement ? Nombre de questions de sociétés méritent ainsi d’être pensées non pas au regard du consentement des personnes concernées mais de manière globale.

C’est au demeurant l’essence même du Droit que de fixer des freins à la volonté des hommes. Le Droit est, en cela, l’art de se donner des limites. Le Droit ne peut se résoudre à entériner purement et simplement la parole subjective des uns et à en ratifier tous les désirs sans perdre sa raison d’être et courir à sa propre dissolution. Absolutisé, le consentement signe donc la fin du Droit. Le doyen Carbonnier soulignait, dans une formule laissée à la postérité, la pulvérisation du droit objectif en droits subjectifs.


Il est donc acquis, au terme de ce raisonnement, que la liberté n’est pas « le droit » de faire « ce que l’on veut ». Surtout, la liberté n’est pas la liberté de s’en défaire.


Il reste que, pour protéger un tant soit peu le citoyen, le législateur et le juge ont recours depuis 1994 à la notion de « dignité » qu’ils ont traduit en droit positif. Mais ici le bât blesse. Le concept de dignité, louable en tant que tel, a perdu sa pureté de principe pour devenir une notion judiciarisée invocable à l’envi. D’ailleurs, si la « dignité » est aussi souvent martelée aujourd’hui, c’est d’abord pour pallier la perte de repères communs et de valeurs partagées. La dignité est cette espèce de contenant sans contenu sur lequel le consensus se crée de façon quasi-magique. Le concept de dignité est appliqué à tort et à travers dans des espèces où d’autres notions juridiques, beaucoup plus précises, devraient lui être préférées. Il est aussi invoqué comme l’argument dirimant pour couper cours à la discussion. Une fois encore, le législateur et le juge inscrivent ce qu’ils veulent derrière ce concept de dignité, quitte à y exprimer l’exact contraire. Il conviendrait plutôt, selon le professeur Fabre-Magnan, de considérer la dignité comme un axiome irriguant le droit dans son ensemble. Ainsi qu’elle l’écrit justement, « la dignité n’est pas à proprement parler un droit de l’homme, mais le principe fondateur d’où découlent les droits de l’être humain ».


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